Des scientifiques ont pu retracer à la semaine près la vie d’un mammouth ayant vécu il y a plus de 17 000 ans, en étudiant les isotopes présents dans différentes parties de sa défense.
Des analyses minutieuses
À l’époque du Pléistocène, les mammouths étaient largement répandus, de l’Europe du Nord et l’Asie jusqu’à l’Amérique du Nord, en passant par la Russie. Mais quelle distance un seul individu aurait-il été en mesure de parcourir au cours de sa vie ? Dans le cadre de travaux publiés dans la revue Science, des scientifiques de l’université d’Alaska ont répondu à cette question avec une précision surprenante.
L’équipe a examiné minutieusement une défense de mammouth longue d’1,8 m et vieille de 17 100 ans environ. À la manière d’un arbre, ces appendices se développaient tout au long de leur vie, avec l’apparition quasi quotidienne de nouvelles couches de tissus formant des anneaux pouvant révéler de précieuses informations au sujet de l’animal. L’équipe a scindé la défense en deux, puis a recueilli des données en 400 000 points différents, répartis sur toute sa longueur.
Les chercheurs ont principalement analysé les isotopes d’oxygène et de strontium, pouvant être comparés à des coordonnées GPS. Variant d’une région à l’autre, ces signatures isotopiques provenant de minéraux situés dans les profondeurs du sous-sol remontent à la surface via les plantes et l’eau, et sont ensuite absorbées par les organismes des créatures qui les consomment.
Précédemment, différentes études avaient permis de dresser une carte isotopique de l’Alaska en analysant les isotopes présents dans les dents de centaines de petits rongeurs, voyageant peu au cours de leur courte vie et représentant donc une zone restreinte. L’équipe a ici comparé les signatures isotopiques de chaque section de la défense de mammouth à cette carte, afin d’obtenir un aperçu des déplacements de l’animal au cours de sa vie.
Un véritable « journal de bord »
« Les défenses des mammouths s’apparentent à un véritable journal de bord, depuis leur naissance jusqu’à leur mort », souligne Pat Druckenmiller, co-auteur de l’étude. « Mère Nature n’offre généralement pas d’historique aussi pratique, durable et détaillé de la vie d’un individu. »
Pour retracer la vie de l’animal, baptisé « Kit » et dont les restes avaient été découverts sur le versant nord de la chaine Brooks, les scientifiques on travaillé à rebours (depuis sa mort), examinant les signatures isotopiques semaine après semaine et recherchant les meilleures correspondances sur la carte précédemment établie. Un modèle spatial a ensuite été utilisé pour déterminer les itinéraires les plus probables que le mammouth aurait pu emprunter, en tenant compte de la distance et des obstacles géographiques tels que les falaises.
Mâle âgé de 28 ans au moment de sa mort, comme l’ont confirmé des études génétiques réalisées en parallèle, le mammouth a vraisemblablement passé les premières années de sa vie dans le bassin du fleuve Yukon et dans les régions intérieures de l’Alaska, naviguant entre plusieurs territoires selon un schéma prévisible. Selon l’équipe, ce comportement était migratoire, à l’instar des éléphants modernes, et suggère qu’il évoluait au sein d’un troupeau.
« Il est difficile de savoir s’il s’agissait de migrations saisonnières, mais il couvrait un large territoire », explique Matthew Wooller, également co-auteur de l’étude. « Il a été amené à visiter de nombreuses parties de l’Alaska au cours de sa vie, ce qui est assez impressionnant quand on pense à la taille de cette région [1,718 million de km²]. »
70 000 kilomètres parcourus
L’équipe a constaté un changement soudain dans les schémas isotopiques lorsque l’animal était âgé d’une quinzaine d’années, indiquant qu’il se déplaçait de manière un peu plus aléatoire, ce qui suggère qu’il avait atteint sa maturité sexuelle et quitté le troupeau (une autre similitude avec les éléphants modernes). Ce comportement a duré une dizaine d’années.
Au cours des dernières années de sa vie, le mammouth a passé presque tout son temps dans une zone plus restreinte près de la côte nord de l’Alaska. Enregistrés à la base de la défense, les profils isotopiques les plus récents s’avéraient plus riches en azote. Une telle concentration constituant un signe de famine chez les mammifères, l’équipe a conclu qu’il s’agissait de la cause la plus probable de la mort. Au total, l’animal aurait parcouru près de 70 000 kilomètres, soit près de deux fois le tour de la Terre.
Outre le fait qu’elles offrent un aperçu fascinant et incroyablement détaillé de la vie d’un animal ancien, ces données donnent davantage d’épaisseur à l’hypothèse voulant que le réchauffement climatique et l’activité humaine aient joué un rôle dans la disparition des mammouths, en engendrant une réduction de leur zone d’habitat les ayant rendus plus vulnérables à la chasse.
« Pour les espèces de la mégafaune, comme le mammouth, conserver un tel degré de mobilité s’est sans doute avéré de plus en plus difficile à mesure que la fin de l’ère glaciaire approchait et que l’environnement se transformait sous les hautes latitudes », souligne Wooller. « L’Arctique connaissant actuellement de nombreux changements, étudier le passé pourrait nous aider à mieux anticiper l’avenir des espèces actuelles. »
Par Yann Contegat, le
Source: New Atlas
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