Une poignée de minuscules pointes de flèches retrouvées en Ouzbékistan pourraient bien réécrire l’histoire de la migration humaine vers l’Europe. Et si nos ancêtres n’étaient pas passés par où on croyait ?

À Obi-Rakhmat, des pointes de flèches révèlent la présence de Sapiens il y a 80 000 ans
Imaginez un petit abri sous roche, perdu dans les montagnes d’Asie centrale, à quelques heures de route de Tachkent, la capitale ouzbèke.
Ce site s’appelle Obi-Rakhmat, et ce qu’on y a retrouvé récemment, ce ne sont pas des fossiles impressionnants, ni des statues antiques, mais de minuscules pointes de flèches en silex. Taille allumette. Poids plume. Mais importance colossale.

D’après l’équipe de l’archéologue Hugues Plisson, ces pointes ont été confectionnées il y a environ 80 000 ans. Et surtout : elles montrent toutes les marques d’un usage en tant que projectiles. Fractures d’impact, rayures d’utilisation, conception sophistiquée…
Ce ne sont pas des jouets ni des outils expérimentaux : ce sont de vraies armes de chasse, ultra-efficaces, fabriquées par des tailleurs expérimentés. En un mot : du matos de pro.
Une migration précoce de Sapiens par les montagnes d’Asie centrale
Jusqu’ici, on pensait que les premiers Homo sapiens partis d’Afrique avaient gagné l’Europe en passant par le Levant (Liban, Syrie, Israël…). Logique : c’est proche, c’est plat, c’est un corridor naturel. Mais ça, c’était avant.
Car les fameuses pointes d’Obi-Rakhmat suggèrent un autre itinéraire, plus au nord-est, via le Caucase et les piémonts d’Asie centrale.
Et ce n’est pas dénué de sens : ces régions offrent une abondance de ressources (eau, gibier, matériaux), des abris naturels, et surtout, elles sont déjà peuplées par nos ancêtres dès cette époque.
Ce parcours permettrait aussi d’expliquer pourquoi les outils que l’on retrouve en Europe n’ont pas de lien clair avec ceux du Levant. Et là, les pointes ouzbèkes tombent à pic. Elles seraient l’origine possible du fameux « Néronien », une culture matérielle encore mal comprise mais détectée dans la vallée du Rhône et au Liban.
Le Néronien, un puzzle technologique qui relie Ouzbékistan, France et Liban

Tout commence à la grotte Mandrin, dans la Drôme, où l’archéologue Ludovic Slimak met au jour en 2022 une dent de lait datée de 54 000 ans, accompagnée de pointes similaires à celles d’Obi-Rakhmat. C’est dix millénaires avant l’arrivée officielle de Sapiens en Europe !
Slimak baptise cette industrie minuscule « Néronien », en référence à une grotte ardéchoise. Et il en retrouve les traces non seulement en France, mais aussi au Liban (Ksar Akil), en Espagne, en Italie… Partout où Sapiens semble avoir laissé sa patte discrète mais précise.
Mais ce que l’on ne comprenait pas encore, c’était d’où venait cette technologie si spécifique. Avec Obi-Rakhmat, c’est peut-être le point de départ que l’on cherchait. Une pièce manquante, vieille de 80 000 ans, qui fait soudain tenir tout le puzzle.
Une chronologie bouleversée qui redéfinit l’arrivée de Sapiens en Europe
Ce que cette découverte change, ce n’est pas juste un tracé sur une carte. C’est toute la chronologie de l’arrivée de Sapiens en Europe qui vacille. Fini le scénario linéaire d’une seule vague migratoire par le Levant il y a 42 000 ans. Selon Ludovic Slimak, il y en aurait eu trois, la première dès 55 000 ans, depuis l’est.
Et ce n’est pas tout. Si ces flèches sont bien celles de Sapiens, alors Néandertal n’était peut-être plus seul en Europe à cette période. Peut-être même que certaines cultures qu’on lui attribuait ne sont pas les siennes… Ce serait un véritable coup de tonnerre dans la Préhistoire européenne.
Alors, la prochaine fois que vous verrez un petit silex pointu dans une vitrine de musée, rappelez-vous : ce n’est pas juste une pierre. C’est un témoin minuscule mais puissant de nos origines. Et il se pourrait bien que notre Histoire ait encore beaucoup de surprises à nous réserver.
Par Eric Rafidiarimanana, le
Catégories: Sciences, Actualités, Histoire
Je corrige, je ne sais pas la datation des « pointes de Soyons ». Mr Slimak découvre avec son équipe, ces dernières années, près de Montélimar, une couche de micropointes au milieu de couches pointes de sagaies on va dire. A l’analyse au microscope, on voit des micro rayures droites typiques d’impacts de pointes d’arc, ainsi qu’une dent de cromagnon d’une dent de lait d’un enfant, datant de 54 000 ans. Il va donner le nom du Néronien car les « pointes de Soyons » furent découverte à Soyons dans la grotte de Néron