Passionné d’exploration urbaine (urbex), Thomas Laconis immortalise ses aventures dans des lieux abandonnés à travers de superbes clichés, qui nous plongent dans des décors figés dans le temps. Nous avons eu la chance de le rencontrer pour une interview.
Pourquoi choisissez-vous de photographier les endroits abandonnés ?
Il faut revenir aux sentiments éprouvés lors de ma première visite de lieu abandonné.
Quiconque fait sa première visite dans ce type de lieu est secoué par les mêmes sentiments ! Excitation, appréhension, la peur de se faire choper… le goût de l’interdit ! Certains explorent simplement le fun et le plaisir de découvrir… Pour ma part, j’ai été particulièrement sensible à l’architecture de ce premier lieu. C’était un sanatorium des années 30.
Alors quand je tombe sur des perspectives faites d’enchaînement de portes et de couloirs sur des centaines de mètres, un théâtre à moitié brûlé ou d’anciennes chaufferies monumentales, cela titille la fibre photographe. J’ai vraiment appris à essayer de faire un témoignage visuel et graphique de ce que j’explorais.
Certains explorateurs prennent des photos pour avoir un simple témoignage de leur passage. Ils s’en fichent de faire de la photo qui ressemble à quelque chose. Personnellement, j’explore pour faire de la photo. Ressortir d’un lieu avec des clichés qui rendent hommage à sa particularité architecturale ou l’ambiance du lieu, c’est mon but.
C’est de l’anti-tourisme : on visite de prime abord des lieux « pourris », des lieux complètement oubliés de tous et pourtant des pépites sont là… Il faut savoir regarder. Certains voient, d’autres regardent. Et quand les premiers clichés sont révélés à notre entourage, c’est très motivant de continuer sur cette voie… Une réelle satisfaction d’arriver à faire voir « autre chose ».
Qu’est-ce que ces lieux vous évoquent ?
Du tourisme temporel ! Un peu comme les premières images sous-marines dans « Titanic » : on imagine le lieu quand il était en vie, dans sa fleur de l’âge… C’est autant être témoin privilégié de quelque chose qui a vécu et ne sera plus, que de se retrouver dans une machine a remonter le temps !
C’est un sentiment de satisfaction et de réel privilège d’être témoin de la fin de vie du lieu. C’est aussi un vrai pincement au cœur que de découvrir des lieux extraordinaires dans un état pitoyable à cause de normes plus à jour (pour ce qui est des hôpitaux, hôtels, les lieux qui accueillent du public), de coûts exorbitants de maintient en état…
Alors leurs propriétaires, s’il y en a encore, les délaissent, le temps faisant son œuvre, si ce n’est l’Homme qui ne fera qu’accélérer sa destruction au travers de différents profils : pilleurs, chasseurs de trésors, casseurs, voyous irrespectueux…
Parmi vos différentes explorations, lesquelles vous ont le plus marqué ?
• Me retrouver à l’intérieur d’un gazomètre, c’est comme être au cœur de l’étoile noire ! il est 7 heures du matin, il fait encore très froid et humide, il faut grimper un escalier extérieur d’une énorme citerne, passer une petite porte et redescendre au fond par une échelle non sécurisée… et au fond il n’y a pas d’échappatoire possible… Angoissant mais magique !
• Passer une journée à explorer ces usines de l’ère de la métallurgie : c’est Disneyland industriel !
• L’infiltration d’un ancien hôpital dont le rez-de-chaussée était réhabilité par des entreprises, il fallait faire le moins de bruit possible pour outrepasser les grillages montés qui bloquaient l’accès à l’ancien hôpital, en mode chaussettes pour ne pas faire couiner les rangers !
• L’exploration d’une morgue abandonnée… Après s’être donné du mal pour y rentrer par une lucarne donnant sur les toilettes, au bout d’un quart d’heure de photos on a eu de la visite : un couple entrant par la grande porte avec les clés ! On pensait s’être fait remarqués, nous nous sommes terrés au sous-sol dans la pièce la plus éloignée et la plus pourrie, le temps qu’« ils » abandonnent… jusqu’à ce qu’ils arrivent à nous… « Ils » ont eu la peur de leur vie, ne s’attendant pas à nous trouver là… Nous savions que nous allions devoir nous justifier… Grand moment !
• Pour explorer l’intérieur d’une (très) grande tour de refroidissement de centrale abandonnée, nous avons tout fait pour ne pas nous faire voir des cameras de surveillance (Qui au final ne fonctionnent plus ! Mais attention, bien des sites sont tout de même surveillés afin d’éviter le vol de cuivre et autres pièces détachées).
• L’exploration d’une mine à la lampe frontale : un sentiment d’explorer les mines de la Moria !
• Pénétrer dans une ancienne usine. Rien que l’épisode pour y pénétrer est un grand moment avec, en vrac, longer une rivière, escalader des murs, arbres, trous de clôture, s’équiper de matériel s’il y a un chien qui rôde, marcher dans un silence absolu. Au final un lieu magique, des machines industrielles d’un autre temps… un gros kiffe.
• Pénétrer au petit matin (à cause du voisinage et des chiens) un théâtre cinématographique par les coulisses et attendre que le jour se lève pour mesurer la beauté du lieu…
• Et j’en oublie beaucoup… chaque exploration a son lot d’anecdotes et de surprises…
Comment choisissez-vous les lieux que vous allez photographier ?
Je ne choisis pas. Un lieu (presque) insignifiant sur le papier peut se révéler être magique et très surprenant et inversement, un superbe château de l’extérieur peut se révéler être une coquille vide sans aucun intérêt à être photographié.
Quand le plan de route est confectionné avant le voyage, c’est bien une liste de lieux connus pour ce qu’ils sont qui est établie. Châteaux, usines, maisons, trains… En revanche, aucune certitude de savoir dans quel état on trouvera le lieu : il peut être détruit, réhabilité, avoir été dégradé à un point de perdre tout intérêt d’être photographié… Parfois, partir en exploration c’est aussi se laisser aller sur la route en allant de A à B et dès que quelque chose se présente, on agit. Il peut y avoir de très bonnes surprises comme beaucoup de déceptions….
D’où vous vient cette passion de l’exploration de lieux abandonnés, oubliés de tous ?
C’est au travers d’une improbable amitié avec mon partenaire et binôme d’exploration, redoutable chasseur de lieux perdus, que nous sommes rapidement partis vadrouiller en Europe pour faire ces explorations.
Nous nous connaissions quelques années avant dans nos boulots respectifs, au téléphone, sans s’être jamais vus du fait des distances, nous nous sommes retrouvés sur des forums urbex sur Facebook ! Improbable je vous dis !
Avez-vous déjà été exposé ?
Oui, j’ai déjà exposé par deux fois mes photos urbex au Grand Palais à Paris durant l’événement artistique « Art Capital » en novembre 2015 et février 2017. J’expose alors un petit nombre d’œuvres sélectionnées par un jury de la discipline, au milieu de centaines d’autres artistes peintres, sculpteurs, dessinateurs, et photographes.
Grâce à la Société des Artistes Français, avec qui j’expose au Grand Palais, j’ai pu mettre en place une exposition sur le thème imposé de « Sublime Paris » dans un hôtel 4 étoiles à Neuilly sur Seine pour cinq semaines jusqu’au 11 juin. Ce ne sont pas des photos urbex mais tout de même des photos réalisées parfois dans le cadre d’explorations urbaines (toituro) et belles opportunités de se retrouver au bon moment au bon endroit ;-).
Voulez-vous continuer à explorer et photographier ces lieux abandonnés ou avez-vous d’autres projets photographiques en tête ?
Bien sûr ! Je l’espère… En prenant la mesure du risque aussi. Les mauvaises expériences existent aussi et ça calme bien. Même si c’est une activité très fatigante et hasardeuse. Beaucoup de kilomètres, des risques, des conditions de prise de vue vraiment contraignantes :
Du fait que c’est une activité marginale et souvent avec des accès illégaux (on pénètre souvent sur un terrain privé…), il n’y a pas le temps de prendre le temps, il n’y a pas forcément les bonnes conditions météo pour faire la plus belle des photos possibles telles que l’on pourrait l’imaginer une fois que l’on est sur place, la géographie des lieux ne nous permet pas non plus de faire ce que l’on aimerait faire. C’est tout de même comme du photo-reportage avec une touche artistique. Toutes ces contraintes sont néanmoins une excellente école pour apprendre à maitriser son matériel photo. C’est souvent un gros sac à trimballer sur le dos, pour être sûr d’avoir constamment sur soi les bonnes optiques, tout ce dont on a besoin pour toutes les situations…
Je pourrais le faire avec un smartphone, mais soyons honnêtes, ce n’est pas la même résultat ! Je ne crache pas sur les smartphones, c’est très pratique, mais il y a bien des limites techniques dans ces appareils quant aux finalités voulues. Le monde a encore bien des secrets cachés derrière les portes closes !
Comme j’ai vraiment réappris la photographie avec cette activité, je réapprends à voir le monde autrement et à le traiter différemment en photo. J’ai bien des projets en tête qui n’ont rien a voir avec l’urbex ou le paysage, mais je me bute encore a des problèmes d’ordre technique. Je ne suis pas satisfait des essais réalisés.
Si vous souhaitez suivre les aventures de Thomas et contempler ses somptueux clichés, nous vous recommandons de le suivre sur Instagram, sur FlickR et même sur Facebook !
Par Mathilde Rochefort, le
Étiquettes: photographie, interview, lieux-abandonnes, thomas-laconis
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