Jean-Renaud Ducos De Lahitte est un quarantenaire toulousain, professeur d’EPS dans l’Éducation nationale. C’est aussi un multiple champion de BMX, concourant au niveau mondial. Il y a cinq ans, suite à un bénin accident de travail, sa vie prenait un tournant radical. Après plusieurs examens médicaux, un cancer lui a été diagnostiqué. Cela fait à peine deux ans qu’il accepte d’en parler au-delà de son cercle proche. Nous l’avons rencontré et son seul souhait aujourd’hui, reste que son histoire puisse donner de l’espoir aux « tireurs de mauvaises cartes ».
Quand vous a-t-on décelé et diagnostiqué votre maladie ?
Jean-Renaud Ducos De Lahitte (JR) : Pendant une séance d’E.P.S., en faisant une démonstration en course de haies, j’ai ressenti une violente douleur dans le mollet. La douleur était tellement vive, que j’ai consulté plusieurs spécialistes qui ont fini par comprendre que j’avais fait une embolie distale. Puis, j’ai eu des fourmillements et un blanchiment de mes doigts de pieds témoignant d’un début de nécrose. Le caillot provenait en fait d’un anévrisme de l’aorte abdominale. J’ai été placé sous antiagrégants et anticoagulants pour éviter l’amputation.
Après avoir vu plusieurs spécialistes, j’ai subi une lourde intervention chirurgicale pour remplacer les parois abîmées de mon aorte abdominale par une prothèse. Mais face à l’aspect inhabituel de ma pathologie, des prélèvements ont été réalisés. Quelques semaines après, le résultat est tombé… On m’a diagnostiqué un angiosarcome de type indéterminé, de niveau 3 de malignité. Seuls 10 cas avaient été recensés dans le monde, et j’étais le seul en France. Bref, un pronostic vital bien engagé et une espérance de vie à très court terme.
Quelle a été votre réaction suite à cette annonce, en avez-vous immédiatement parlé à votre famille et entourage ?
JR : J’ai vécu un cataclysme dans une vie simple et sans problème de santé. Mais au-delà de cela, quand on vous annonce une sentence potentielle de condamnation à mort, tout devient éphémère et la maladie devient une véritable obsession au centre de toutes mes réflexions et conversations. A quel moment ce mal sournois a pu entrer en moi, sans plus de signaux d’alerte que ça, en tout cas, pas réellement palpables.
JE ME POSE UNE MULTITUDE DE QUESTIONS POUR ESSAYER DE COMPRENDRE LE POURQUOI DU COMMENT
La tristesse et les regrets ponctuaient mes journées où je ne pensais qu’à ça, avec un profond sentiment de solitude, malgré la présence quotidienne de mon amie dès l’annonce du verdict. Le reste de mon entourage proche n’a été prévenu que lorsque j’ai connu mon protocole de soins au sein de l’Oncopole de Toulouse, pour justifier de mes absences répétées. Car j’étais censé me reposer en permanence, suite à la chirurgie réparatrice de mon anévrisme de l’aorte abdominale.
Durant les premières semaines, j’avais vraiment besoin de rester seul, concentré sur la maladie et ses premiers effets sur moi. Puis, j’ai continué de vivre comme si de rien n’était. Je n’avais jamais trop attaché d’importance au regard des gens dans ma façon d’être et de faire, cela n’a donc pas été pour moi un facteur limitant.
A-t-on réellement le choix entre sombrer et tenter de se battre ?
QUAND VOUS APPRENEZ QU’IL NE VOUS RESTE QUE QUELQUES MOIS A VIVRE, AUTANT Y ALLER A FOND CAR LE TEMPS PRESSE
JR : Dans les premières semaines, on peut dire que j’étais dans un état de profonde tristesse, mais sans non plus me laisser sombrer dans l’inconnu de mon devenir. J’avais, pour seul point de comparaison, les épreuves qu’avaient aussi subies mon père, emporté en quelques mois par un cancer des bronches dû à son tabagisme. Très vite, j’ai eu cette envie folle d’essayer de gagner cette nouvelle partie d’échecs.
Il paraît que dans telle situation, on passe par tous les états psychiques, de la résignation à la colère. Dans mon cas, je n’ai pas vraiment connu cette dernière, mais plutôt un profond sentiment d’injustice et de véritable gâchis. En voyant mon corps si abîmé, décliné au fil des mois, alors que je n’avais aucune addiction malsaine (alcool, cigarette…). Le temps et tous les projets en tous genres se sont arrêtés, pour laisser place à des mois de traitements médicaux.
Combien de temps ont duré vos soins ?
JR : Tous les soins ont duré près d’un an, entre octobre 2012 et juillet 2013. Après mon opération et suite à la lecture des résultats de l’anatomopathologie concluant au diagnostic d’un angiosarcome de haute malignité, j’ai commencé les cures de chimiothérapie en décembre 2012.
J’en faisais 4 jours par semaine toutes les quinzaines. Au total, 24 cures de chimio en hospitalisation de jour comme de nuit, étalées entre décembre 2012 et avril 2013. Enfin, j’ai eu droit à 30 séances de radiothérapie quotidiennes, du lundi au vendredi, entre fin mai et début juillet 2013.
Avez-vous eu des effets secondaires ? Comment viviez-vous cette période ?
JR : J’ai perdu une quinzaine de kilos. Malgré cela, je n’ai jamais arrêté l’activité physique. Sportif de haut niveau, c’était pour moi comme une sorte d’antidépresseur nécessaire à me purifier de tous les produits chimiques qui bouleversent mes sens. La dégradation rapide de l’aspect physique est indéniable et on s’en rend plus compte à travers les autres patients que l’on retrouve au fil des traitements et des semaines. Ils déclinent parfois plus vite que nous qui nous voyons à travers la glace où l’on s’aperçoit au quotidien. Pour finir par s’habituer à sa situation de grand malade.
L’ensemble de ces traitements médicaux a déclenché de nombreux effets secondaires, pendant, mais aussi après les séances, et même plusieurs mois par la suite. J’ai essayé de les minimiser avec l’aide précieuse d’une naturopathe et d’une magnétiseuse pour atténuer les principaux désagréments, notamment les troubles gastriques et nauséeux, mais aussi les sensations de brûlures très handicapantes au quotidien.
DGS : Que pensez-vous du corps médical durant votre convalescence ?
JR : Je n’avais pas trop confiance au corps médical à cause de tous ces traitements fortement recommandés pour ne pas dire obligatoires. Mais globalement, je pense pouvoir dire aujourd’hui, que je leur dois de vivre. Mais après avoir côtoyé plusieurs profils de médecins et infirmières dans différents services et hôpitaux, je peux dire que beaucoup font preuve de maladresse, par manque de pédagogie ou de compréhension.
Bien sûr, ces situations sont pour eux anodines et anecdotiques, alors que pour les malades, leur condition est une priorité de l’instant présent, comme une petite étape parmi des centaines d’autres à franchir. Certains d’entre eux, à différents niveaux, ont été vraiment disponibles et à l’écoute, avec des moments de complicité face à l’incertitude du traitement expérimental que j’ai.
Avez-vous cherché à vous soigner différemment ?
JR : J’étais obligé de suivre la voie « classique », mais je me documentais aussi pour essayer de me soigner en parallèle et à ma manière. Pour ma part, d’après les médecins, j’étais un patient proactif (le terme proactif est un néologisme qui décrit une personne prenant en main la responsabilité de sa vie, plutôt que de rechercher des causes dans les circonstances ou les personnes extérieures).
Dés le début de l’annonce de mon anévrisme de l’aorte abdominale puis de mon cancer de type angiosarcome, j’ai toujours tout voulu savoir dessus, mais aussi sur mon devenir, allant même jusqu’à me documenter sur les différents traitements complémentaires, reconnus ou pas par le corps médical et l’oncologie.
J’AI EU RECOURS À UNE NATUROPATHE ET À UNE MAGNÉTISEUSE QUI M’ONT ÉTÉ D’UN GRAND SECOURS AU QUOTIDIEN
Malgré les recommandations des médecins, j’ai également eu recours à Internet, pour essayer d’y voir plus clair sur l’extrême rareté de mon type de cancer, en m’orientant vers des sites sérieux à l’image de celui de l’Institut Gustave Roussy de renommée européenne, pour avoir une second avis sur la question, pour finir de me conforter dans l’idée de me faire soigner à travers la chimio et la radio-thérapie, décision lourde de conséquences difficile à prendre.
Il paraît que ça peut-être aussi un exutoire d’en parler à un psychologue pour confier ses états d’âme, mais j’ai préféré faire confiance à un des infirmiers spécialisés en sophrologie que j’allais voir au détour de mes longues séances de chimio, comme une sorte de confident.
Enfin, j’ai toujours fait en sorte de bouger physiquement tout au long de ma convalescence, que ce soit à pieds ou en vélo pour m’aérer la tête et me purifier le corps malgré la fatigue des traitements initiaux, avant de savourer les progrès réels au fil des mois. Au delà de surmonter la fatigue et la maladie, j’ai essayé de visualiser tout ça comme une pyramide avec des marches plus ou moins hautes selon les périodes, en me fixant comme objectif au sommet, de pouvoir refaire des compétitions de BMX comme avant, malgré le scepticisme de la majorité des médecins rencontrés essayant de me convaincre du contraire d’après la théorie.
C’est cette dernière que j’ai pris au pied de la lettre, dans l’espoir de faire mentir les statistiques par ma pratique assidue du sport que je savais être un des antidotes les plus redoutables contre ma maudite maladie, me rappelant la phrase du chirurgien qui m’avait dit que la médecine n’était pas une science exacte, où chaque patient est unique et réagit différemment physiquement et mentalement, malgré les grandes lignes d’un protocole qui dans mon cas, était expérimental.
Cinq ans après l’annonce de votre maladie et tous les traitements reçus, comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
JR : Je me sens forcément moins fiable qu’avant face aux problèmes de santé qui peuvent paraître moins graves.
JE N’AVAIS JAMAIS PRIS JUSQUE-LA, UN QUELCONQUE MÉDICAMENT POUR UN SIMPLE MAL DE TÊTE
Aujourd’hui, chaque douleur soudaine dans une partie de mon corps m’interpelle sur la probabilité d’une éventuelle récidive, tout comme des passages de fatigue physique et mentale intimement liés encore présents. Mes contrôles semestriels restent encore des moments de stress intense.
Toute cette maladie fait toujours partie de mon quotidien de façon moins obsédante. Mais elle reste présente à travers des mots, des images, des odeurs et des couleurs que j’ai associé inconsciemment aux différentes étapes de mon traitement.
Qu’est-ce qui vous a permis de tenir ?
JR : J’ai essayé de rester lucide sur ma maladie, tout en restant fidèle à mes propres croyances, construites au fil des mois. Je me suis aussi raccroché à mon père, victime aussi d’un cancer et à qui je me confiais dans mes pensées et mes doutes omniprésents, pour espérer conjurer le sort qui s’abattait à nouveau sur ma famille et mes proches.
J’avais aussi l’envie de vivre car j’avais le sentiment d’une vie inachevée, pour ne pas dire, à peine commencée.
J’AVAIS DE REGRETS, DES ACTES MANQUÉS, MAIS SURTOUT L’ENVIE DE RÉALISER DES NOUVEAUX PROJETS QUI ME TENAIENT À CŒUR, PENDANT QU’IL ÉTAIT ENCORE TEMPS
Je me devais aussi de tenir bon, en hommage à tous ceux qui me sont venus en aide, pour leur dire que cela n’était pas inutile, et que la médecine n’est pas une science exacte, pour reprendre les mots du chirurgien qui m’a opéré. Lorsqu’il a appris la mauvaise nouvelle, il m’a simplement dit : FORCE et COURAGE. Ces deux mots sont devenus mes pensées positives au quotidien, pour espérer que le meilleur reste à venir. C’est ce que je me dis encore chaque jour en me levant.
Enfin, de par mes activités sportives à risques, à l’origine de pas mal de douleurs physiques fréquentes, cela m’a permis d’appréhender au mieux l’apparition de nouvelles sources de souffrances qui rythmaient mon quotidien de malade, avec un seuil de tolérance déjà entraîné à travers d’autres traumatismes de sportif de haut niveau. Même si ce genre de douleurs était nouveau pour moi, il n’était pas une source de détresse supplémentaire, mais un facteur limitant et un indicateur sur mon état de santé du moment, me permettant de mieux repousser mes limites physiques et mentales au fil des mois.
Comment se passe « l’après » ? Est-ce compliqué de revenir à une « vie normale » (reprise du travail, regard des autres…) ?
JR : Aujourd’hui, je continue mon stage de survie comme je dis souvent. Malgré les problèmes de santé qui resurgissent parfois, c’est plus dur mentalement que physiquement. Même si je n’ai jamais retrouvé pleinement mon poids de corps, si je jongle avec des périodes de doute face à la maladie et vis-à-vis de laquelle je fais toujours profil bas, je reste malgré tout conscient que je suis un patient à risques.
Mon statut de fonctionnaire de l’Éducation nationale m’a aussi permis de vivre ma vie, à défaut de la gagner. J’ai donc tenté d’essayer de me reconstruire à travers un congé longue durée pour une période de 5 ans, qui touche à sa fin. J’ai malgré tout gardé un pied dans l’enseignement à travers mon implication associative et sportive autour de ma passion pour le BMX. Cela a été une véritable bouffée d’air pur pour moi. Je n’ai jamais réellement arrêté de la pratiquer plus de quelques mois, malgré mes faibles capacités physiques par moments.
CONSERVER LA PRATIQUE DU BMX ÉTAIT COMME UNE SORTE DE PIED DE NEZ À LA MALADIE
Avez-vous du mal à parler de votre maladie ?
JR : Je n’ai jamais eu de mal à en parler, finissant même par bien maîtriser le sujet, en me documentant régulièrement sur la question et les progrès en la matière. Dans tous les cas, face à la multitude des spécialistes rencontrés, j’ai toujours fait en sorte de raconter dans les moindres détails l’historique de ma maladie, cela pour espérer être mieux traité par le corps médical.
ROULER EN ROSE EST POUR MOI COMME UN MESSAGE SUBLIMINAL ET UN HOMMAGE A TOUS CEUX QUI SONT TOUJOURS CLOUES SUR UN LIT D’HÔPITAL, EN PROIE A CETTE MALADIE SOURNOISE
Avec les autres malades, c’est sans doute là qu’on se sent le plus à l’aise et surtout compris, car eux-même y sont confrontés et comprennent vraiment ce que tu essayes d’exprimer. Mais mon histoire reste difficilement recevable et compréhensible pour les personnes extérieures, même les plus proches de mon quotidien.
Il y a quelques mois, j’ai eu l’occasion d’apporter mon témoignage lors d’une conférence sur le Sport contre le Cancer, en tant que sportif confronté à la maladie. Suite à cela, j’ai décidé de communiquer plus officiellement sur la lutte contre le cancer, mais à ma manière.
Avez-vous changé (regard différent sur la vie, les autres, etc.) ?
JR : Une telle maladie laisse forcément des marques physiques et mentales indéniables avec lesquelles on apprend à vivre. J’en garde encore aujourd’hui des troubles du sommeil toujours difficiles à réguler et le besoin de remplir les journées pour ne pas trop cogiter sur mon sort.
Concernant mon regard sur ma nouvelle vie, j’essaie surtout d’apprécier les bons moments de mon quotidien qui n’a pas fondamentalement changé d’orientation. Je reste essentiellement centré sur mes passions, tout en essayant d’éviter toute sorte de négativité, pour vivre une infime partie de mes rêves qui restent des projets et défis à venir.
J’essaie d’oublier mes problèmes et non pas de m’en créer de nouveaux, donc quand je vois que je ne peux pas avoir de relations franches et sincères avec les autres personnes que je rencontre au détour de ma vie de tous les jours, en général je coupe court avant que mon franc parlé prenne le relais, évitant soigneusement ceux qui se plaignent de tout et de rien.
Malgré tout, la maladie m’a aussi permis de rencontrer de belles personnes que je n’aurais sans doute jamais croisé sans ça, et qui ont été déterminantes dans ma convalescence pour retrouver le moral et la forme. L’occasion de voir aussi sur qui on peut vraiment compter pour traverser de telles épreuves, tout en évitant désormais de perdre du temps avec celles qui n’en valent pas la peine pour des futilités.
JE DIRAIS QUE JE PRENDS PLUS LE TEMPS DE VIVRE MON QUOTIDIEN ET DE FAIRE LES CHOSES QUI ME CAPTIVENT, SANS AUCUNE PRESSION, SOURCE DE STRESS QUE JE PENSE ÊTRE EN PARTIE DÛ AU DÉCLENCHEMENT DE MA MALADIE
Peut-on dire que vous êtes un autre homme aujourd’hui ?
JR : Mes qualités comme mes défauts restent aujourd’hui les mêmes, et je n’aurais pas la prétention de dire que je suis devenu un autre homme. Je suis simplement plus sensible et émotif que par le passé, dans les bons comme dans les mauvais moments, tout en essayant de rester le plus sincère et naturel dans mes relations aux autres.
Y a-t-il un message que vous souhaitez faire passer à toutes les personnes qui comme vous, souffrent de la même maladie ?
JR : Difficile de donner des leçons car cette maladie est appréhendée de multiples manières par les personnes impactées.
Dans tous les cas, chacun doit pouvoir se raccrocher à ses propres croyances pour ne rien lâcher, de peur de le faire juste avant le miracle, il faut donc y croire jusqu’au bout, pour rester pleinement acteur de son destin et non pas spectateur. Il faut aussi savoir rester humble face à la maladie et son devenir incertain. Alors FORCE et COURAGE, on croise les doigts et on y croit, le meilleur reste à venir !!! J-R, toujours debout.