Près de 70 ans avant l’avènement de Photoshop et des logiciels de retouche photographique, Staline avait régulièrement recours au trucage d’images afin d’arranger son portrait ou de faire disparaître certains éléments indésirables des photographies officielles. Une arme de propagande redoutable qui mobilisa plusieurs dizaines d’hommes durant la Grande Purge et lui permit de réécrire l’Histoire.
Après son arrivée au pouvoir en 1929, Joseph Staline déclare la guerre aux anciens dirigeants soviétiques qu’il considère comme des traîtres à la nation. À partir de 1934, il anéantit méthodiquement ses « ennemis », dont la liste ne cesse de s’allonger au fil des années. Quelque 750 000 personnes sont exécutées durant les Grandes Purges, et plus d’un million d’autres envoyées dans les goulags, ces camps de travaux forcés situés dans les régions les plus reculées et hostiles du pays.
Durant les purges, de nombreux ennemis de Staline se volatilisent mystérieusement, tandis que d’autres sont exécutés en public à l’issue de parodies de procès. Staline connaissant l’importance historique des photographies officielles, il s’assure également que les « ennemis du régime » exécutés ou portés disparus soient effacés des archives du pays.
Staline fait appel à un grand nombre de « retoucheurs » pour retirer ses ennemis de nombreuses photos officielles. L’un d’entre eux est Nikolaï Iejov, chef suprême du NKVD qui a supervisé les purges staliniennes. Longtemps bras droit du dictateur, l’homme a ordonné l’exécution de milliers de responsables du Parti communiste. Mais en 1939, Iejov perd les faveurs de Staline et est évincé. Il est finalement arrêté, jugé par un tribunal secret et exécuté.
Les retoucheurs de Staline se mettent ensuite au travail et font disparaître Iejov de l’ensemble des photographies officielles sur lesquelles il apparait. La plus célèbre restant sans doute celle où il se trouve à droite du dictateur (voir photos ci-dessus).
Des dizaines d’officiels du parti photographiés aux côtés de Staline à l’occasion de divers évènements bénéficient du même traitement. Ces photographies sont parfois retouchées plusieurs fois, à mesure que la liste des ennemis du parti s’allonge. Sur l’une d’entre elles, on peut voir à l’origine Staline posant en compagnie de trois de ses adjoints. Ces derniers ayant ensuite été déportés ou exécutés, l’image définitive ne représente plus que Staline (voir photos ci-dessous).
L’obsession de Staline pour le trucage d’images et la falsification de l’Histoire constitue alors une véritable industrie en URSS. Ses collaborateurs sont chargés de contacter les éditeurs du pays et de leur dicter quelles personnalités retirer des futures photographies qu’ils publieront.
Généralement, une simple conversation téléphonique ou un mot glissé à l’oreille d’un rédacteur en chef peu enclin à désobéir aux ordres du gouvernement suffit à éliminer toute référence, visuelle ou littérale, à une victime du régime, peu importe son importance.
Le recours à la retouche photographique signifie également retourner dans le passé pour réécrire l’Histoire, comme lorsque Staline ordonne que Léon Trotski, figure essentielle du mouvement communiste, soit retiré de toutes les photographies officielles existantes. Le dictateur est parfois inséré dans des photos clefs de l’histoire du pays, et demande régulièrement à ses retoucheurs de le faire paraître plus grand ou plus beau.
Terrifiés à l’idée d’être perçus comme des traitres par le régime, les citoyens ont l’habitude de découper ou de recouvrir d’encre les photographies représentant les « ennemis de la nation » dans les livres ou les journaux qu’ils possèdent. Les familles des personnes arrêtées et condamnées sont quant à elles contraintes d’effacer toute trace de l’existence de leurs proches.
L’obsession de Staline pour la retouche d’images ne s’arrête pas là. Les nombreux portraits représentant « le Petit Père des peuples » que l’on retrouve dans chaque maison et chaque entreprise du pays, font également l’objet d’un contrôle maniaque. Le dictateur emploie une véritable armée de peintres pour réaliser ses portraits officiels, et ces derniers, grassement payés, retouchent leurs travaux à de nombreuses reprises afin qu’ils conviennent à Staline.
Véritable arme de propagande pour l’URSS, la retouche photographique permet également aux généraux de Staline d’échapper à un sort funeste. En témoigne la célèbre photographie représentant des soldats soviétiques brandissant le drapeau rouge sur le Reichstag durant la bataille de Berlin.
Cette mise en scène emblématique (inspirée par le lever du drapeau américain à Iwo Jima) a été modifiée afin d’échapper à la colère de Staline. Ce dernier ayant expressément ordonné à ses soldats de ne pas piller la ville, le photographe a en effet dû masquer le poignet droit de l’un des soldats en « grattant délicatement un contretype du négatif avec la pointe d’une aiguille », afin de faire disparaître la montre surnuméraire, probablement volée à un citoyen allemand lorsqu’ils faisaient route vers le Reichstag.
Staline était loin d’être le seul dictateur adepte des retouches photographiques : en 1937, Adolph Hitler avait fait retirer Joseph Goebbels, alors ministre de la Propagande, d’une photographie officielle, tandis qu’un cliché célèbre montrant Mussolini grimpant fièrement sur son cheval avait été modifié afin de faire disparaître l’homme qui tenait la bride de l’animal. Mais il restera probablement le seul à avoir fait du trucage d’images une véritable arme de propagande lorsqu’il était à la tête de l’URSS.
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Il n’y a pas de source établissant que la photo du Reichstag soit une réponse au lever de drapeau sur Iwo Jima. Cette dernière photo ayant été posée deux fois puisque la première fois le drapeau n’était pas suffisamment grand au goût des services de presse. La Propagande ce n’est pas que Staline.