La célèbre saga Mass Effect a été acclamée par la critique pour son écriture et son univers dense. Mais saviez-vous qu’outre toutes ces qualités, le Space Opera de Bioware est également plutôt rigoureux scientifiquement ? Là où l’on pourrait croire que l’univers de science-fiction dans lequel évolue le Commandant Shepard n’obéit qu’à de folles extravagances, les développeurs ont tout fait pour rendre leur jeu scientifiquement crédible. On vous fait découvrir la pertinence de la série Mass Effect du point de vue de la physique, de l’exobiologie et de l’intelligence artificielle.
La physique
Dans l’univers de Mass Effect, les vaisseaux spatiaux peuvent se déplacer d’un point à l’autre de la galaxie en une fraction de seconde, parcourant des milliers d’années-lumière de manière instantanée. Or pour toute personne s’étant intéressée un minimum à la physique, il y a bien une certitude : Einstein a dit que la vitesse de la lumière est impossible à dépasser, et les seules choses qui peuvent l’atteindre sont justement les éléments constitutifs de la lumière, les photons, et dont la masse est quasiment nulle. Et puis, même si on était capable d’atteindre une vitesse proche de celle de la lumière (299 792,458 km par seconde tout de même) il faudrait encore des centaines d’années pour traverser la galaxie. Si Mass Effect n’utilise pas un tour de passe-passe sans fondement scientifique, comment explique-t-il ces voyages à vitesse supraluminique ?
Un relais cosmodésique :
Quiconque a joué à Mass Effect se souvient forcément des relais cosmodésiques (Mass Relays en version originale) ces artefacts qui permettent à eux seuls l’existence de l’univers de Mass Effect en connectant entre eux les différents points de la galaxie. Les relais sont des appareils à la technologie très avancée et constituant un immense réseau. Grâce à ce dernier, le vaisseau spatial Normandy peut traverser la galaxie instamment en passant d’un relais à un autre. Or si Einstein a dit que la vitesse de la lumière était indépassable, il n’a pas dit que l’espace et le temps étaient indéformables. Sur le principe, les relais cosmodésiques utilisent ce qui est appelé dans le jeu « l’effet de masse » (ce qui rend leur nom anglais « mass relays » beaucoup plus parlant) pour contracter l’espace entre eux lorsqu’un vaisseau spatial les utilise.
La Citadelle, le centre du réseau cosmodésique :
Si l’univers de Mass Effect ne donne pas les détails de cette manipulation (on nous parle seulement d’utilisation de matière noire (une matière réelle mais encore très mystérieuse pour les scientifiques) et d’élément zéro, une substance propre à l’univers de Mass Effect) le principe est scientifiquement possible et plausible, les physiciens ayant depuis longtemps théorisé le principe du trou de ver. Si pour l’instant rien ne permet de prouver l’existence d’un trou de ver, les lois de la physique n’interdisent pas son existence, ni sa création de manière artificielle. Le but serait de déformer l’espace de façon à ce que l’on puisse passer de manière instantanée d’un point à un autre plutôt que de parcourir la distance les séparant de manière linéaire ; un peu comme si, au lieu de tracer une ligne entre un point A et B sur une feuille, vous pliiez cette même feuille pour que ces points se touchent directement. C’est précisément ce qu’utilise Mass Effect, et rien ne le lui interdit, pour notre plus grand plaisir.
L’exobiologie
Les relais cosmodésiques ont beau être des merveilles de technologie et de maitrise de la physique, ils ne sont justement que les relais servant à véhiculer les vaisseaux les utilisant. Ces derniers ont été conçus par une multitude d’espèces extraterrestres, qui font elles aussi la richesse, et surtout la crédibilité scientifique, de l’univers créé par Bioware. Certes, Mass Effect verse la plupart du temps dans un anthropocentrisme banal (le fait de tout représenter ou interpréter au regard de ce que nous connaissons – à savoir nous-même, l’être humain), avec la majorité de ses extraterrestres ayant une morphologie bipède ou encore ses espèces présentant des sexes masculins et féminins ayant les mêmes dimorphismes sexuels que les humains (sans parler des Asaris, réputées asexuées, mais qui ont toutes une apparence de femme sculpturale – l’espèce extraterrestre entièrement féminine est un vieux topos de la science-fiction classique). Cependant, par le fait que l’univers du jeu fasse justement régulièrement des entorses à ces canons établis, les espèces de Mass Effect présentent elles aussi une recherche de crédibilité scientifiquement.
Un Elcor, dont le corps massif est adapté à une forte gravité :
Depuis une petite vingtaine d’années, avec la découverte de plus en plus médiatisée d’exoplanètes (des planètes en dehors de notre système solaire), une nouvelle discipline à la croisée de l’astronomie et de la biologie s’est développée : l’exobiologie. En cherchant à imaginer comment la vie pourrait apparaitre sur d’autres mondes bien différents du nôtre, les scientifiques appartenant à cette branche nous ont montré que la vie n’était pas forcément appelée à suivre la même voie royale que celle tracée sur Terre par notre environnement. Dans Mass Effect, les Elcors sont originaires d’une planète à très forte gravité, ce qui fait qu’ils sont quadrupèdes (une meilleure répartition des poids étant plus qu’adaptée sur un monde où la moindre chute peut être mortelle) et qu’ils ont une force colossale (nécessaire ne serait-ce qu’à déplacer leur masse). Toujours dans le registre des mondes invivables pour les êtres humains en raison des différences physiques, la planète d’origine des Volus se situe à une trop grande distance de son étoile pour que l’eau puisse y couler à l’état liquide en surface et que la chimie du carbone propre à la vie terrestre puisse s’y développer. Cependant, grâce à une atmosphère dense et à un cycle des hydrocarbures où le méthane tient la place de l’eau, les Volus ont pu se développer dans ce froid glacial avec une chimie à base… d’azote !
Un Volus portant une combinaison pour supporter notre pression atmosphérique :
Sans chercher du côté des mondes aussi « exotiques » que ces derniers, Mass Effect nous montre que même ces bons vieux extraterrestres humanoïdes sont en fait beaucoup plus étrangers qu’on ne le pense. Par exemple, même avec leur stature bipède et une chimie à base de carbone, les Turiens sont diamétralement différents des êtres humains pour des raisons nichées au coeur de leurs cellules : leur homéostasie (leur équilibre chimique en somme) ne repose pas sur les mêmes acides aminés que ceux utilisés par les êtres humains, c’est pourquoi leur nourriture et leurs médicaments par exemple sont parfaitement incompatibles. Enfin l’espèce des Quariens pose, de manière détournée puisque dans les jeux Mass Effect cela possède une justification scénaristique (le confinement dans des vaisseaux aseptisés), la question de l’immunité. En effet rien ne dit que des virus et autres bacilles terrestres n’auraient pas des effets absolument catastrophiques sur des organismes étrangers, et que la réciproque ne serait pas vraie. La combinaison intégrale des Quariens est une solution réaliste à ce problème.
L’intelligence artificielle
Ce sont justement les Quariens qui ont créé dans l’univers de Mass Effect une puissante race synthétique, les Geths, ces derniers s’étant justement retournés contre leurs créateurs et les ayant menés pratiquement au bord de l’extinction en les chassant de leur planète d’origine. Jusque-là, on a l’impression d’être dans un schéma de science-fiction très classique, celui de l’intelligence artificielle renégate et meurtrière. Cependant, la saga Mass Effect pose la question de manière différente, si ce n’est sous un jour totalement nouveau, en présentant au passage l’intelligence artificielle. Mass Effect nous pousse en effet à nous interroger sur la différence que présente l’intelligence artificielle par rapport à l’intelligence « organique », mais questionne également notre responsabilité.
Les Geths constituent une intelligence hors normes :
Les Quariens n’ont en effet pas cherché à créer une intelligence artificielle : à l’origine, les Geths étaient des unités robotiques qui, séparées, avaient des capacités cognitives plus que limitées. Cependant en fonctionnant en réseau, en se connectant entre eux, les Geths pouvaient devenir plus intelligents, au point d’atteindre un niveau de conscience supérieur. Une tentative de débranchement ayant valu aux Quariens un exode plus tard, les Geths avaient fini de se développer, sous la forme d’une intelligence qui, d’un point de vue informatique, est plus crédible que la plupart des intelligences artificielles de science-fiction. Les Geths sont des unités informatiques qui, en se connectant, deviennent plus intelligentes. En un sens, il n’existe pas de notion d’individu au sein des Geths, puisque seule leur interconnexion leur donne accès à une intelligence supérieure. De même, les Geths ne sont que des programmes et ne donnent pas d’importance au matériel dans lequel ils se téléchargent. Ce dernier peut être détruit, le Geth ne meurt pas.
Le conflit entre Quariens et Geths illustre le dilemme du droit à l’existence de l’intelligence artificielle :
De cette manière, Mass Effect montre que l’intelligence artificielle n’a absolument pas à ressembler à un esprit humain (et, ironiquement, les Geths constitueraient ainsi d’une certaine manière la moins anthropomorphisée des « espèces » extraterrestres du jeu). Dans ce cas, le jeu pose des questions intéressantes d’un point de vue éthique : comment définit-on une intelligence artificielle pour laquelle la notion d’individu est aussi flottante ? Peut-on parler de conscience sans qu’il y ait de réelle notion d’individu ? Quels droits enfin accorder à une espèce dont l’évolution et l’existence se basent sur un développement exponentiel ? Si les recherches en éthique de la robotique et en droit des intelligences artificielles en sont encore à leurs balbutiements à notre époque, la saga Mass Effect laisse intelligemment ces questions ouvertes en un sens, en laissant le joueur juge grâce aux choix moraux actables qui ont fait le succès de la série.
L’univers de Mass Effect est vraiment fascinant. Que ce soit par son scénario dense et vraiment prenant ou sa crédibilité scientifique, ce titre mérite vraiment sa place au panthéon des oeuvres de science-fiction ambitieuses qui ont des choses à dire sur notre futur, mais surtout sur le présent de notre société. On a qu’une hâte, c’est que Bioware sorte un nouvel opus du même acabit :D. Aimeriez-vous voir plus de jeux vidéo respecter les principes fondamentaux de la science ?
Par Romain Berthommier, le
« Aimeriez-vous voir plus de jeux vidéo respecter les principes fondamentaux de la science ? » Définitivement, oui !!! 🙂 La trilogie Mass Effect est un véritable monument du jeu vidéo et de la science-fiction, et personnellement, je trouve que des jeux de cette qualité manquent cruellement.
J’aimerais toutefois réagir sur un point de cet article dont je ne partage pas tellement le point de vue : il s’agit du caractère anthropocentriste de la trilogie, avec des aliens majoritairement bipèdes. Le seul contre-exemple que vous ayez donné est les Elcors … Vous oubliez les Hanaris, les Varens, les Pijacks, les Moissonneurs, les Léviathans, les Veilleurs, le Thorien (qui certes est une sorte de plante mais qui n’est pas très loin d’une forme de vie organique animale) … qui sont tout de même autant d’espèces non bipèdes. et les Brutes et les Yahgs, bien que bipèdes sont tout de même très éloignés de la morphologie humaine.
Ah, et j’oubliais aussi les Rachnis comme race d’alien non bipède et ne partageant pas la même morphologie que les humains … Ce qui nous fait déjà 8 races qui ne ni bipèdes ni ne partagent la même morphologie que les humains … Si je compte (en espérant n’avoir oublié personne), il y a 11 races bipèdes et certaines restent très éloignées de la morphologie humaine. Donc parler de Mass Effect en collant à la trilogie le mot « anthropocentrisme » me semble plutôt discutable …