À l’heure où la France traverse une crise économique majeure et compte entre 5 et 8,8 millions de pauvres, nous entendons de plus en plus parler de la mise en place d’un revenu universel. Mais en quoi consiste exactement cette mesure ? Quels en sont les avantages et les inconvénients ? Est-il possible de la mettre en place dans l’hexagone ? Nous répondons à ces questions.
Le revenu universel – également appelé revenu de base, allocation universelle ou encore revenu citoyen – est une idée apparue au XVIe siècle lors du mouvement humaniste de la Renaissance. Elle est notamment abordée dans Utopia, un ouvrage de Thomas More publié en 1516, dans lequel l’auteur imagine une île où chacun est assuré des moyens de sa subsistance sans dépendre de son travail. Cette mesure, qui permet à l’ensemble des habitants d’un pays de percevoir une somme (cumulable avec tous les revenus individuels), est censée satisfaire les besoins primaires de chaque individu : nourriture, logement, vêtements, bien culturels de base, etc.
Cette dernière, inaliénable, est allouée à un individu et non à un ménage, et n’est soumise à aucune condition pour être perçue. Prenant en compte le fait qu’il n’y ait plus assez de travail sur l’ensemble du territoire pour tout le monde, cette nouvelle forme de protection sociale a pour objectif, selon ses défenseurs, de faire sortir le pays et ses habitants de l’assistanat, tout en combattant le chômage et la pauvreté. Pour ses détracteurs, au contraire, l’allocation universelle est une mesure insensée sur le plan économique et contestable sur le plan éthique, qui risquerait d’affaiblir le système de protection sociale actuellement mis en place puisque, par essence, sa nature forfaitaire et universelle ne peut s’adapter aux situations particulières.
LE REVENU UNIVERSEL N’EST SOUMIS À AUCUNE CONDITION POUR ÊTRE PERÇU
En effet, pour la mettre en place, il est généralement proposé de fusionner les minima sociaux, d’y intégrer une grande partie des prestations familiales et, éventuellement, des allocations chômage et logement. Mais alors, que vaut réellement le revenu de base ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire de s’intéresser aux pays et aux villes l’ayant déjà expérimenté.
C’est dans le cadre du Programme Mincome, dans les années 1970, que la petite ville de Dauphin (10 000 habitants à l’époque) fait du Canada le premier pays à tester le revenu universel. Durant cinq ans, de 1974 à 1979, les familles aux revenus trop faibles, ont pu bénéficier d’une allocation fixe. Malheureusement, le projet est abandonné en raison d’un changement de gouvernement et aucun rapport n’est publié à son arrêt. C’est bien plus tard, et plus précisément en 2007, que la Dr. Evelyn Forget, professeure d’économie à la faculté de médecine de l’Université du Manitoba, a commencé à s’intéresser à cette expérience sociale et à ses retombées. Ayant accordé une interview au site du Mouvement Français pour un revenu de base, elle fait état du résultat de ses recherches.
Elle y évoque notamment les recherches du Pr. Wayne Simpson qui, avant elle, avaient mis en évidence que seules les nouvelles mères mariées et les adolescents ont moins travaillé suite à la mise en place du revenu universel. Un phénomène qui s’explique par le fait que les mères ayant des enfants en bas âge ont choisi de passer davantage de temps avec leurs bébés. Quant aux adolescents, ils ont été libérés de la pression subie pour venir financièrement en aide à leur famille, et ont ainsi pu continuer plus longtemps leurs études secondaires et ce, avec plus de succès. Sur le point de vue de l’éducation, l’expérience est un succès.
Mais le revenu de base s’avéra également concluant sur d’autres points. En effet, selon Evelyn Forget, les résultats les plus significatifs ont porté sur les coûts des soins de santé. En utilisant les données des assurances maladie, l’économiste a pu démontrer que les taux d’hospitalisation ont diminué de 8,5 % chez les sujets de l’expérience par rapport aux sujets « témoins ». Un phénomène qu’elle explique par la réduction des accidents et blessures, et la réduction des hospitalisations pour les problèmes de santé mentale.
Enfin, Evelyn Forget a pu interroger d’anciens participants du programme. Elle rapporte : » De nombreux participants se souviennent et sont reconnaissants pour les opportunités que le Mincome leur a offertes, à eux et à leurs enfants. Tous ont mentionné le bienfait du programme pour l’éducation, soit parce qu’ils avaient réussi à obtenir une formation professionnelle, soit parce que leurs enfants avaient pu étudier plus longtemps à l’école. La plupart pensent que cela aurait dû perdurer. «
La ville de Dauphin n’est pas la seule à avoir essayé le revenu universel. Dès 1982, l’Alaska a également mis en place un revenu annuel grâce à l’Alaska Permanent Fund, un fonds issu des revenus du pétrole et du gaz extraits dans la région. Chaque habitant de plus de 5 ans bénéficie d’une somme qui est réajustée chaque année, en fonction de la rentabilité du fonds. Ainsi, en 2015, chaque résidant a pu toucher 2 072 dollars (1 827 euros), soit l’équivalent de 153 euros par mois. En 2016, ce revenu a encore baissé : ce sont seulement 938 euros qui ont été versés par personne, soit moins de 80 euros par mois. Des sommes anecdotiques qui ne permettent pas à ses bénéficiaires de survivre… Ici, le revenu universel joue davantage le rôle de complément de prestations familiales pour les personnes dans les situations les plus précaires. De plus, l’effondrement des cours du pétrole amène aujourd’hui l’État à envisager sa suppression.
EN SUISSE, LES ÉLECTEURS ONT MASSIVEMENT REJETÉ LA MISE EN PLACE DU REVENU UNIVERSEL
En 2016, la Suisse a également songé à un projet visant à mettre en place un revenu universel qui aurait été accessible à tous, concernant autant les employés que les sans-emploi. Mais la mesure fut massivement rejetée par les électeurs, qui votèrent à 76,9 % contre sa mise en place. Proposée par un groupe sans affiliation politique, l’initiative proposait de verser une allocation universelle de 2 500 francs suisses (soit 2 260 euros) par adulte, et de 650 francs suisses pour chaque mineur. Une mesure qui aurait coûté 208 milliards de francs suisses (188 milliards d’euros) pour sa mise en place.
Toutefois, cette somme aurait pu être en partie amortie par la suppression des différentes aides et assurances sociales, et totalement remboursée en mettant en place une taxe de 0,2 % sur les transactions électroniques qui aurait permis de générer 200 milliards de francs suisses (180 milliards d’euros). Si le gouvernement suisse et la plupart des partis politiques dénonçaient alors un projet trop coûteux et relevant de l’utopie, l’idée fit tout de même son chemin dans le reste de l’Europe.
LA FINLANDE EST DEVENUE LE PREMIER PAYS EUROPÉEN À VERSER UN REVENU DE BASE AUX PERSONNES SANS EMPLOI
Et notamment en Finlande, qui est devenue au 1er janvier 2017, le premier pays européen à verser un revenu de base aux personnes sans emploi. Pour l’heure, cette initiative n’en est qu’au stade de l’expérimentation puisque ce sont seulement 2 000 citoyens finlandais, âgés de 25 à 58 ans et tirés au sort, qui vont percevoir 560 euros par mois durant deux ans. Une somme qu’ils continueront de toucher, même s’ils trouvent un emploi durant l’expérience.
L’objectif de cette phase de test est de déterminer l’impact de cette mesure sur l’emploi. En effet, en novembre 2016, la Finlande enregistrait un taux de chômage de 8,1 %, soit le même chiffre que l’année précédente. Avec cette mesure, le gouvernement souhaite découvrir s’il est possible de balayer les craintes des chercheurs d’emploi à l’égard des avantages sociaux qu’ils pourraient perdre en acceptant une offre d’emploi précaire. Il faudra attendre l’année 2019 pour tirer les premières conclusions de cette expérience.
En ce qui concerne la France, la question du revenu universel est un sujet à la mode dans le débat politique, notamment grâce aux prochaines élections présidentielles. À droite comme à gauche, de plus en plus de candidats intègrent cette idée à leur programme. Si les écologistes se sont depuis longtemps prononcés en sa faveur, Manuel Valls, candidat perdant à la primaire de gauche, a lui aussi exprimé son désir de voir une telle mesure mise en place. Benoît Hamon, candidat socialiste à la présidentielle, fait du revenu de base l’un des piliers de son programme : s’il est élu, il augmentera dès 2017 le RSA de 10 % pour le porter à hauteur de 600 euros et l’élargira à l’ensemble des 18 à 25 ans, quel que soit leur niveau de ressources.
Plus tard, il souhaite voir ce revenu atteindre les 750 euros et voudrait l’appliquer à l’ensemble de la population. L’idée était également portée par Nathalie Kosciusko-Morizet et Jean-Frédéric Poisson, tous deux candidats perdants à la primaire de la droite, et continue d’être défendue par des personnalités telles que Dominique de Villepin ou encore Alain Madelin. François Fillon, lui, propose d’ouvrir un revenu de base seulement aux bénéficiaires des aides sociales actuelles, avec un montant maximum fixé à 75 % du Smic, soit 847 euros, afin d’encourager la reprise du travail.
À l’heure actuelle, il reste difficile de savoir ce que vaut réellement le revenu universel… Si l’idée semble gagner de plus en plus de pays, il n’y a que trop peu d’exemples pour savoir si oui ou non, cette idée représente une véritable solution à la pauvreté et au chômage ou si au contraire, elle ne fera qu’affaiblir les systèmes sociaux.