Sur les hauteurs escarpées de Maui et Kaua‘i, le bourdonnement d’un drone remplace peu à peu le chant des oiseaux. Là-haut, à des kilomètres des plages idylliques et des sentiers touristiques, se joue une bataille invisible mais décisive : celle contre le paludisme aviaire, qui décime les espèces endémiques de l’archipel. Chaque semaine, un million de moustiques sont relâchés, non pas pour envahir, mais pour sauver.

Une crise écologique aiguë : les moustiques importés déciment les oiseaux hawaïens depuis des décennies
Introduits accidentellement au XIXe siècle, les moustiques ont apporté avec eux le parasite Plasmodium relictum, responsable du paludisme aviaire. Les oiseaux locaux, les drépanidinés, y sont particulièrement vulnérables. Résultat : plus de 70 % des espèces d’origine ont disparu, et certaines, comme le ‘akikiki, ont même disparu à l’état sauvage.
Le réchauffement climatique aggrave encore la situation. Jadis cantonnés aux basses altitudes, les moustiques colonisent désormais les zones montagneuses, privant les oiseaux de leurs derniers refuges. Or ces oiseaux ne sont pas de simples chanteurs forestiers : ils assurent la pollinisation et la dispersion des graines, piliers de la forêt tropicale hawaïenne. Leur disparition fragiliserait tout l’écosystème insulaire.
Un plan de sauvetage inédit mêlant moustiques stériles, drones et haute technologie
Pour lutter contre ce fléau, les scientifiques ont lancé une opération à la croisée de la génétique et de l’ingénierie. Le programme Birds, Not Mosquitoes mise sur la Wolbachia, une bactérie naturelle introduite chez des moustiques mâles. Lorsqu’ils s’accouplent avec des femelles locales, les œufs n’éclosent pas. C’est une méthode douce mais redoutablement efficace : pas d’éradication brutale, mais une réduction progressive de la population porteuse du parasite.
Les premiers essais en hélicoptère se sont révélés coûteux. Depuis 2025, l’usage de drones conçus sur mesure change la donne. Capables de lâcher des capsules biodégradables contenant jusqu’à 1000 moustiques, ils opèrent avec une précision chirurgicale dans des forêts inaccessibles. Résultat : un million de moustiques libérés chaque semaine, avec l’espoir d’inverser la tendance.
Gagner du temps pour que la nature reprenne ses droits… avant qu’il ne soit trop tard
Le but n’est pas d’éradiquer les moustiques, mais de réduire la pression sur les espèces les plus menacées. Le pari est double : freiner l’hémorragie démographique et donner une chance à l’évolution. Certains oiseaux, comme l’‘amakihi, montrent déjà une certaine tolérance au parasite. Des espèces comme le ‘akeke‘e gardent encore une diversité génétique suffisante pour espérer un rebond.
Le San Diego Zoo Wildlife Alliance mène en parallèle un programme d’élevage en captivité. À Maui et Keauhou, une quarantaine d’oiseaux sont actuellement préservés dans l’attente de jours meilleurs. Chaque moustique relâché, chaque drone en vol, représente un sursis.
Une bataille éthique, symbolique et planétaire qui redonne espoir à la conservation
Ce projet incarne une vision nouvelle de la conservation : réparer ce que l’Homme a bouleversé en armant la nature contre elle-même. C’est aussi un défi moral : jouer avec les mécanismes biologiques, même pour sauver des espèces, n’est pas anodin. Mais à Hawaï, le choix est clair : laisser disparaître ou tenter l’impossible.
Et ce pari local pourrait bien avoir des répercussions globales. La technologie de la Wolbachia, déjà testée contre la dengue ou Zika, pourrait s’appliquer à d’autres régions, à d’autres insectes, à d’autres équilibres fragiles. Dans le ciel d’Hawaï, les drones ne livrent pas une guerre : ils défendent un chant, une mémoire, un avenir.
Par Eric Rafidiarimanana, le
Catégories: Sciences, Animaux & Végétaux