Membre le plus complexe des Crimebusters, Rorschach continue sa lutte même après la dissolution du groupe de super-héros. Il utilise ses techniques de combats et son extrême violence pour venir à bout de ses adversaires et met à profit son intelligence pour faire progresser ses enquêtes. À la fois héros et antihéros, faites la connaissance de Rorschach et de son histoire.
La création du personnage
En 1967, le cocréateur de Spider-Man, Steve Ditko, travaille chez Charlton Comics et invente les personnages de The Question et Mr. A. L’éditeur est racheté par DC Comics et là où certains personnages sont d’abord gardés pour leurs potentiels, d’autres sont remaniés. The Question et Mr. A vont inspirer Alan Moore et Dave Gibbons pour donner naissance à Rorschach. Le style enquêteur au chapeau et trench-coat vient d’ailleurs de ces deux personnages. Notre personnage n’apparaît réellement qu’en 1986 pour le premier numéro de Watchmen et pour ne pas rendre confus les comics, la transition entre les deux personnages se fait dans le numéro 17 de The Question où en lisant Watchmen, The Question décide de se comporter et de devenir Rorschach. Ce n’est cela dit qu’un pont pour expliquer la transition des personnages d’un éditeur et d’un univers à un autre, car Rorschach va devenir une personne à part entière, bien plus complexe et développée que The Question. Alors justement, venons-en à l’histoire propre à Rorschach.
L’enfance de Walter Kovacs
Walter Joseph Kovacs est né le 21 mars 1940 d’un père qu’il ne connaitra jamais et d’une mère prostituée habituée à maltraiter son fils. Pour vous donner une idée du genre d’enfance qu’a eue le jeune Walter, voici ce qu’il a vécu à l’âge de dix ans. Ne se mêlant initialement de rien, Walter entend sa mère en pleine relation sexuelle avec un homme inconnu qui semble être assez violent avec elle. Pensant au bien de sa mère, le jeune Walter débarque dans la chambre. Le client se lève fou de rage et ne laisse que quelques dollars à Sylvia Kovacs à la place du plein tarif. Bonne mère qu’elle est, Sylvia bat alors son fils en l’insultant de petit bâtard et en lui expliquant qu’elle aurait dû avoir un avortement plutôt que de mettre au monde un enfant aussi abject que lui. Un environnement qui permet donc au jeune Walter de grandir dans la joie et la bonne humeur.
Il devient rapidement aussi violent que sa mère et n’hésite pas à blesser ceux qui se moquent de lui. Cela va cependant changer sa vie, car après avoir écrasé une cigarette dans la bouche d’un autre enfant et mordu le visage d’un autre, des enquêteurs découvrent ses conditions de vie et Walter est envoyé dans une école spéciale, le foyer Lillian Charlton, où il restera un élève modèle malgré ses problèmes mentaux. A 16 ans, il apprend la mort de sa mère, assassinée dans une ruelle et ne répond rien si ce n’est, « Bien« . Il quitte l’école, vit dans des appartements miteux et enchaine les petits boulots jusqu’à ce qu’il travaille dans une usine de couture où il découvre la robe d’une certaine Kitty Genovese. La robe est faite de deux parois de latex emprisonnant un fluide qui change les motifs de la robe. Ces fameux motifs reprennent ceux du test de Rorschach. Lorsque Kitty est tuée, il décide de se faire un masque du vêtement pour combattre la corruption autour de lui.
La signification du masque
Le test de Rorschach permet une analyse psychologique plus ou moins valide d’un individu en l’exposant à une série de dix planches de dessins de taches symétriques. L’interprétation que la personne en fait donne des indications sur son profil psychologique. Cela permet de cibler les faiblesses et les forces des patients, tout en laissant assez de marge au docteur pour en tirer ses propres conclusions sur l’état mental de la personne. On y voit ce que notre inconscient veut y voir par rapport à qui nous sommes et nos expériences passées. Dans la pensée qui influence Rorschach, comme le monde qui existe indépendamment de l’esprit, le test n’est que la matière première, mais c’est notre vécu et notre perspective qui le transforment en quelque chose qui ne correspond qu’à nous. Walter voit dans les taches ses mauvais souvenirs d’enfance, mais le masque constitue pour lui un nouveau visage, celui que lui a imposé son environnement. Un visage auquel il peut faire face.
Le masque change de taches par un système de chaleur et de refroidissement qui change la répartition du fluide noir. La dualité du noir et du blanc n’est pas là par hasard et reflète la vision manichéenne de la morale de Rorschach. Punissant les criminels partout où il va, il n’accorde aucune clémence. Il peut les combattre et les comprend, car lui aussi a vécu les pires atrocités. Il comprend les ténèbres et peut ainsi contre-attaquer. La citation du philosophe Friedrich Nietzsche, « Quand tu regardes l’abîme, l’abîme regarde aussi en toi » est reprise à plusieurs reprises dans le comics et illustre parfaitement cette idée. Pour connaître les ténèbres, il faut s’y plonger et se laisser transformer. La mutation effectuée, Walter devient Rorschach. Mais son enfance n’a pas été le seul élément déclencheur de cette métamorphose.
La naissance de Rorschach
Après l’acquisition de son masque, il combat donc d’abord la pègre de New York et fait équipe avec le Hibou avec lequel il se lie d’amitié. Les deux rencontrent ensuite Captain Metropolis qui engendre la création des Crimebusters avec le Comédien, Dr. Manhattan, Spectre Soyeux et Ozymandias. Ses aventures se poursuivent pendant presque dix ans jusqu’en 1975, lorsque la petite Blair Roche âgée de 6 ans est kidnappée par Gerald Anthony Grice, qui pensait que l’enfant était l’héritière d’une immense fortune. Ayant le bon nom, mais pas le bon père, la petite est en réalité la fille d’un chauffeur de bus, et non pas l’héritière d’un milliardaire. Rorschach promet à la famille de retrouver la fille. Pour ce faire, il tabasse plus d’une dizaine de personnes qu’il envoie à l’hôpital pour gagner des informations. La quinzième fois est la bonne et il obtient une adresse.
Une fois sur les lieux gardés par deux bergers allemands occupés à se battre pour un os, Rorschach découvre des vêtements de petite fille près de la cheminée, du sang autour d’instruments de boucher et de gros morceaux de viande dans la cuisine. Rorschach comprend que l’os que se départagent les chiens est un fémur humain et que Gerald Grice a découpé la fille. Fou de haine contre l’humain, il récupère un hachoir et décapite les chiens. C’est à ce moment-là qu’il ferme les yeux et que Walter Kovacs meurt définitivement. Lorsque ses yeux se rouvrent, il est Rorschach, pour toujours. La transformation se termine lorsque Gerald Grice revient chez lui. Rorschach jette les cadavres des chiens sur lui, l’immobilise et l’attache à la chaudière. Alors que Gerald essaye de se débattre en hurlant qu’il ne pourra rien prouver, car les preuves ont disparu, Rorschach vide une bouteille d’essence dans la maison, craque une allumette et met le feu à Gerald. Il reste dehors pendant une heure, regardant la maison brûler, pour s’assurer que personne n’en sort vivant.
L’ennemi du crime
En 1977 est votée la loi Keene qui interdit les justiciers masqués de continuer leurs opérations. Là où les autres héros raccrochent, Rorschach n’abandonne pas. Et il ne s’en cache pas non plus. Il traque et tue Harvey Charles Furniss, un violeur et assassin recherché par la police et balance son corps devant le commissariat avec un mot accroché sur son torse. Sur un morceau de tissu représentant les taches de son masque et le mot « Jamais !« . Sa nouvelle personnalité en tant que Rorschach ne s’éveille principalement que la nuit. La journée, il se balade dans les rues de New York sans son masque avec une pancarte qui dit « La fin est proche« . Walter Kovacs n’existant plus, la journée n’est qu’une extension à peine palpable de la pensée de Rorschach.
Mais d’ailleurs, comment combat-il le crime ? Après tout, il n’a pas de super-pouvoirs. Rorschach est extrêmement violent, expéditif dans sa méthode et sans pitié pour les criminels. Il est naturellement très rapide et son intelligence lui permet d’analyser son environnement pour le retourner contre ses ennemis. C’est également un maître de l’infiltration, lui permettant de surprendre ses adversaires. Expert du crochetage de serrures et équipé de son fameux grappin offert par son ami le Hibou, il ne porte aucune autre arme ou équipement. Il est décrit à plusieurs reprises comme « tactiquement brillant » par de nombreux personnages. Il réfléchit à la meilleure tactique d’infiltration et d’intervention, et une fois qu’il est au corps à corps, il laisse sa rage et ses poings parler pour lui. Comme sa moralité n’existe qu’en noir et blanc, sa façon de se battre est entre subtilité et brutalité. Il n’y a pas de juste milieu.
Son rôle dans l’univers Watchmen
Tout ceci était l’histoire chronologique de Rorschach et le passé du personnage, mais lorsque l’on fait sa connaissance au début de l’aventure Watchmen, c’est parce qu’il enquête sur la mort d’Edward Blake, dit le Comédien. Il fut défenestré depuis son appartement et ne survit pas à la chute. Rorschach réalise dans son enquête que quelqu’un cible les anciens justiciers et prévient son ami le Hibou qu’il pourrait être en danger. Il rend visite aux autres collègues de Crimebusters, le demi-dieu Dr. Manhattan et Adrian Veidt, dit Ozymandias. Dans son enquête, Rorschach apprend que le Comédien était haï de beaucoup, ayant même tenté de violer la mère de Miss Jupiter. Malgré sa vision manichéenne habituelle, Rorschach excuse son ancien ami, car une erreur ne signifie pas forcément que toutes ses bonnes actions doivent être effacées. Rorschach sait que Dr. Manhattan ne peut être tué par qui que ce soit qu’il connaisse, mais lorsque ce dernier est forcé par les médias à quitter la ville, car il propage le cancer à ceux autour de lui, notre héros masqué comprend que c’est la manière de la personne qu’il recherche d’éliminer Dr. Manhattan de l’équation. Si on ne peut pas le tuer, il faut le faire partir. Dernier signe qui lui prouve qu’il s’approche de la vérité : il se fait arrêter par la police et est envoyé en prison.
En prison, un thérapeute vient discuter avec lui, et c’est là que le lecteur apprend son passé et pourquoi il se considère à 100 % comme Rorschach. Walter Kovacs est mort avec la petite fille de 6 ans il y a déjà bien longtemps. Il parvient à sortir de prison grâce au Hibou et en poursuivant son enquête, il découvre que le meurtrier du Comédien et le responsable du départ de Dr. Manhattan était en fait Ozymandias. L’idéologie de ce dernier part du principe que les humains ne comprennent que la haine et se détestent tous les uns les autres. Le monde est au bord de la guerre nucléaire et il faut donc leur trouver un ennemi commun, un événement tragique qui les lie tous ensemble à jamais. Son but est de détruire la ville de New York, sacrifier la vie des habitants pour choquer la planète et l’unifier. Contrairement à la majorité des méchants, son plan est une réussite.
Ozymandias détruit New York.
Rorschach est fou de rage à penser à la perte de la vie de millions d’innocents et part, accompagné du Hibou, combattre Ozymandias. Dr. Manhattan revient à ce moment-là dans l’histoire pour aider le duo à en finir avec le responsable de son départ, mais explique qu’il comprend la pensée d’Ozymandias. Et maintenant que son plan est déjà fini et que les peuples de la Terre s’unissent, il comprend qu’il vaut mieux profiter de ce malheur pour en garder le bon côté. Ozymandias avait évidemment tort de détruire New York, mais ce qui est fait est fait, alors autant récolter les fruits du sacrifice. Le Hibou, loin d’être d’accord avec la pensée d’origine, reconnait qu’il serait judicieux de profiter de l’occasion pour unir les hommes et les femmes de ce monde. Mais Rorschach n’est pas de cet avis.
Rorschach n’autorise pas le gris ou le compromis. Il décide que la population doit savoir ce qu’il s’est passé, que la vérité est plus importante que le reste. Sachant très bien que Dr. Manhattan ne le laissera pas faire et fidèle à sa façon de pensée pragmatique et expéditive, il demande au demi-dieu de le tuer. Rorschach meurt de la main de Dr. Manhattan, mais personne ne se doute qu’avant de partir pour sa bataille finale, Rorschach a envoyé son journal d’enquêteur à la presse, révélant toute l’affaire et le plan infernal de Ozymandias. Pour Rorschach, la fin ne justifie pas les moyens. Pour résumer ce personnage et sa pensée, nous terminons ce portrait avec cet extraordinaire monologue de courant de conscience par Rorschach lui-même.
« Resté dans la rue regarder brûler. Imaginant les torses manchots des mannequins ; par terre ; les seins noircissent ; le ventre fond, un par un ils s’embrasent. Regardé pendant une heure, face au feu, la tache de sang coagulée par la chaleur, comme la carte d’un nouveau continent. Me sentais nettoyé. Sentais la noire planète tourner sous mes pieds. Savais. Du savoir des chats qui hurlent comme des bébés dans la nuit. Regardé le ciel à travers la fumée chargée de graisse humaine et Dieu n’était pas là. La froidure suffocante et noire est infinie et nous sommes seuls. Vivre sa vie faute d’avoir mieux à faire. Inventer la raison plus tard. Né de l’oubli ; engendrant des enfants promis à l’enfer comme nous ; retour à l’oubli. Il n’y a rien d’autre.
L’existence est hasard. Aucun sens, sauf ce qu’on imagine à la contempler trop longtemps. Aucune signification, sauf ce que nous y mettons. Ce monde sans gouvernail n’est pas formé par de vagues forces métaphysiques. Ce n’est pas Dieu qui tue les enfants, ni la malchance qui les massacre, ni le destin qui les fait dévorer par des chiens. C’est nous. Rien que nous. Les rues puaient le feu. Le vide soufflait contre mon coeur, gelant ses illusions, les pulvérisant. Je renaissais alors, libre de gribouiller ma propre marque sur le vide moral de ce monde. Je fus Rorschach. »
Antihéros brutal et violent, l’enquêteur aux taches de Rorschach peut se vanter d’avoir le développement le plus intéressant de la série Watchmen et d’être l’un des personnages les plus complexes de l’univers des comics. Entre nihilisme et objectivisme, Rorschach voit le monde en noir et blanc et n’hésite pas à se sacrifier au nom de la vérité. Et vous, que voyez-vous lorsque vous regardez les taches noires de Rorschach ?
Par Florent, le