Véritable icône de la culture populaire, Nyota Uhura est l’un des personnages les plus importants de la célèbre franchise Star Trek. Traversant les époques sans jamais perdre de sa superbe, elle a représenté tour à tour 2 des grands mouvements civiques et sociaux du XXe siècle apportant à de nombreux fans, généralement écartés des médias, une personnalité à suivre, admirer et copier. Retour sur l’une des héroïnes les plus politiques de la culture geek.
Depuis 1966, l’univers créé par le génie Roddenberry ne fait qu’attirer de plus en plus d’adeptes : chaque génération a eu son lot d’aventures spatiales, que ce soit en bandes dessinées, en comics, en séries, en films, livres ou encore jeux vidéo. Les aventures des capitaines Kirk, Picard et du vulcain Spock ont fait le tour du monde et avec elles, le reste de ses héros. Parmi eux, Nyota Uhura, le lieutenant de bord de l’Enterprise NCC-1701. Véritable femme d’action, elle dirige ses équipes d’une main de fer en obéissant aux ordres de son capitaine, non sans, quand le besoin s’en fait sentir, prendre le temps de le contredire.
Si le personnage est aujourd’hui un incontournable de la saga, il est bon de souligner que sa présence à bord de l’Enterprise n’a pas toujours fait que des heureux. Pour bien comprendre sa position, il faut revenir aux origines de la série, en 1966. A cette époque, les États-Unis, terre natale d’Eugene Wesley Roddenberry, sont en pleine transformation. En effet, le Mouvement des droits civiques aux États-Unis bat son plein : à travers tout le pays, des hommes et des femmes s’opposent au gouvernement pour pouvoir profiter des mêmes droits et devoirs que leurs voisins. Alors que le pays ne valorise que les hommes blancs hétérosexuels, des milliers d’Américains se sentent lésés, qu’ils soient noirs, d’origines diverses, homosexuels ou de sexe féminin.
Développant ses idées modernes à travers son œuvre, Gene Roddenberry crée des personnages à l’image du monde qu’il veut voir naitre : il imagine un univers où la couleur de peau, les origines, les croyances, le genre et la sexualité peuvent être assumés librement sans crainte de rejet. Sur bien des points, la série sera une œuvre progressiste et Uhura en sera l’un des éléments les plus forts.
La naissance d’une héroïne
NÉE EN 2239, UHURA EST OFFICIER, PUIS LIEUTENANT AVANT DE DEVENIR COMMANDANT EN 2285
A travers le monde et dans de multiples séries, de nombreuses femmes interprètent des rôles à l’écran mais rares sont celles à être aussi indépendantes que Nyota : malgré des débuts discrets, dans l’ombre de Spock et Kirk, elle devient aussi utile sur un champ de bataille que lors de missions d’exploration, elle utilise fréquemment ses capacités pour venir à bout de situations compliquées et sortir ses collègues de mauvaises passes. Cultivée et éduquée, elle parle de nombreuses langues dont un bon nombre sont aliens, ce qui fait fréquemment d’elle le seul personnage capable de comprendre l’ensemble d’une situation. Indispensable, elle est souvent réclamée par ses supérieurs qui lui demandent de l’aide concernant la navigation, des notions de science ou le commandement. Vous l’aurez compris, à bord, elle est l’égale des personnages masculins.
Un femme à un poste de commandement ! Une abomination pour un bon nombre d’Américains qui souhaitent préserver l’image qu’ils ont de la famille. L’homme travaille et la femme lui simplifie la vie lors de son retour à la maison : voilà ce que révèlent les publicités et reportages de l’époque et pourtant, Roddenberry décide d’attribuer un caractère fort et indépendant à une femme qui n’a besoin de personne pour vivre sa vie.
Une aberration pour certains Américains
Vous vous en doutez, la « provocation » du scénariste et producteur ne s’arrête pas là : alors que, dans le même temps, à Atlanta, le Ku Klux Klan porte haut et fort les idées racistes de ses membres, c’est une femme noire qui obtient le rôle. De 1966 à 1969 elle prendra les traits de Nichelle Nichols, une actrice avec laquelle Roddenberry avait déjà travaillé sur le tournage de la série The Lieutenant (1964). Avec ce personnage, le créateur de la série peut se permettre d’aborder plus de thèmes dérangeants, chers à son cœur tels que le racisme, le féminisme dans les œuvres de fiction, les droits des hommes et des femmes sans jamais déranger l’esprit de la série : Star Trek est une ode à la paix et à la liberté (le nom de l’héroïne signifie d’ailleurs liberté en swahili) dont la morale s’exprime à travers différents conflits à l’intérieur et à l’extérieur de l’œuvre. Il crée donc des parallèles entre l’actualité, les évènements qui secouent les États-Unis et sa série.
L’un des épisodes les plus marquants dans l’histoire de la série reste d’ailleurs un coup de maître pour Roddenberry qui, depuis le début de son œuvre, laissait planer un certain mystère sur l’orientation sexuelle de ses personnages et les relations qui les liaient. Ainsi, les producteurs de Star Trek on dû gérer une scène remarquable mais dérangeante pour une grande partie des spectateurs américains : le baiser de Kirk et de Nyota, l’un des premiers baisers entre un homme blanc et une femme noire sur le petit écran. Ce moment, bien qu’ayant choqué un bon nombre d’hommes et de femmes à l’époque, en aura bouleversé tout autant et aura poussé de nombreux adeptes de la saga à remettre en question leurs idées sur les relations interraciales.
Une idole pour d’autres
« VENEZ VOIR ! VITE ! IL Y A UNE FEMME NOIRE À LA TÉLÉVISION ET CE N’EST PAS UNE SERVANTE ! »
Nyota aura influencé de nombreux hommes et femmes, alors enfants au moment de la diffusion de la première série et parmi eux, la célèbre actrice Whoopi Goldberg qui, à l’âge adulte, tentera le tout pour le tout dans le but d’apparaître dans la série. Lors d’une discussion avec Roddenberry et alors que ce dernier la questionne sur l’intérêt qu’elle trouve à la série, elle ne lui répond qu’en citant Nichelle Nichols. A cette époque, les rôles attribués aux femmes noires étaient généralement des rôles de bonnes et Nichols, en acceptant celui de Nyota, change la donne. Agée alors de 9 ans, Goldberg découvre le personnage, se lève et appelle toute sa famille à regarder cette actrice qui sortait des sentiers battus. Plus tard, Roddenberry offrira à Goldberg d’interpréter Guinan, autre personnage fascinant de l’univers de Star Trek.
« NICHELLE, QUE VOUS LE VOULIEZ OU NON, VOUS ÊTES DEVENUE UN SYMBOLE. »
Whoopi Goldberg ne sera pas la seule à être influencée par l’actrice et son rôle : alors que l’actrice souhaite quitter le plateau de Star Trek pour répondre à l’appel d’un producteur qui lui promet un avenir glorieux à Broadway, le rêve de sa vie, elle est contactée par le révérend Martin Luther King. Ce dernier voit en son rôle ce dont ont besoin les jeunes générations d’Afro-Américains : un personnage fort, loin des stéréotypes de l’époque. Ce n’est qu’à 82 ans qu’elle racontera cette histoire relatant des dires du révérend : « Nichelle, que vous le vouliez ou non, vous êtes devenue un symbole. Si vous quittez Star Trek, ils (les producteurs) peuvent vous remplacer par une femme blanche aux cheveux blonds et cela sera comme si vous n’aviez jamais été là. Ce que vous avez accompli, pour nous tous, ne sera réel que si vous restez. » C’est donc sur les conseils de Martin Luther King que l’actrice décida de rester, comprenant que son rôle était tout aussi important à la série, la saga, qu’à l’histoire des États-Unis.
Nichols passe le flambeau
Des années durant et tout au long de sa carrière, Nichelle portera sur son dos le poids du rôle de Nyota et sera même recrutée par la NASA. Il va sans dire qu’au début de la saga, peu d’hommes et de femmes issus de minorités ethniques entraient dans les rangs de l’Administration nationale de l’aéronautique et de l’espace et c’est vers l’actrice que ses chargés de communication se sont tournés pour aider au recrutement.
Nichelle interprétera son personnage jusqu’en 1991 puis en 2007 dans une web-série créée par des fans. En 2009, c’est l’actrice Zoe Saldana qui reprend le rôle culte : dans l’adaptation de J. J. Abrams, un prequel sobrement nommé Star Trek. Lors des nombreuses interviews données par l’actrice à la sortie du film, elle a confié à de multiples reprises le stress et la pression que générait pour elle le fait de reprendre un tel personnage. Sans avoir vraiment connu l’œuvre de Roddenberry, il lui aura fallu faire confiance à J. J. Abrams pour incarner le personnage : le réalisateur fut celui qui la rassura sur sa capacité à incarner Nyota et à faire honneur à Nichelle Nichols. C’est toutefois une autre Uhura que le fan découvre dans ce nouvel opus : plus jeune, l’héroïne n’a pas encore la confiance et l’assurance de ses autres apparitions et c’est donc en innovant que l’actrice put entrer dans le rôle.
Consécration, Zoe Saldana rencontre Nichelle Nichols sur le plateau du film : la seconde prend même le temps de conseiller la nouvelle venue sur sa façon de jouer. A sa sortie, le film est un succès et les suivants le seront tout autant mais pour certains grands fans de la saga, ceux qu’on appelle Trekkies, Nyota n’est pas à la hauteur. Sa relation amoureuse avec Spock en fait un personnage faible et ses habits, trop sexy, vont à l’encontre de son personnage. Grave erreur ! Nyota est une femme attirante, confiante quant à ses relations et sa sexualité, un caractère développé dès ses premières apparitions dans les années 60. Renier une partie de son personnage pour en faire un personnage apparaissant plus fort serait en renier l’histoire.
Belle, intelligente, intéressante, confiante et libérée, Nyota Uhura fait fi des critiques pour se concentrer sur sa mission et il y a fort à parier que le personnage marquera encore longtemps l’histoire du petit et du grand écran. Portant haut et fort des messages politiques et sociaux, revendiquant les droits (et devoirs) des femmes et des minorités, elle a traversé les époques sans jamais perdre de sa superbe. Après avoir été interprétée tour à tour par des actrices aussi charismatiques que conscientes de l’importance de leur travail, l’héroïne a encore de beaux jours devant elle.
Elle a plus l’air d’une blanche à la peau noire qu’une afro-américaine !