Depuis lundi, la révolte gronde à El Bosque, petite ville en périphérie de Santiago du Chili. La situation alimentaire est en effet dramatique, et de nombreux foyers vulnérables font face à la pénurie en ces temps de confinement. Des affrontements entre policiers et civils ont de fait été observés, et une vingtaine de personnes ont été arrêtées. Ces affrontements ne sont pas sans rappeler les émeutes d’octobre dernier, durant lesquelles de nombreux Chiliens se sont révoltés contre l’augmentation du prix du ticket de métro, illustrant par conséquent l’ampleur des inégalités sociales en cours dans ce pays qui est à la fois le plus riche d’Amérique latine et le plus inégalitaire selon l’OCDE.
Des inégalités très présentes au Chili, héritées de la dictature
Depuis octobre 2019, le bruit des casseroles résonne à Santiago et dans le reste du Chili. Ces casseroles incarnent le symbole de la révolte et du dégoût généralisé des citoyens face aux inégalités et à la corruption. En effet, bien que le Chili soit l’un des pays les plus riches d’Amérique latine, il est aussi l’un des pays les plus inégalitaires au monde selon l’OCDE, et les habitants ne le supportent plus. Depuis octobre 2019, début des émeutes, le pays est placé en état d’urgence. Les revendications des manifestants étaient simples : que le gouvernement renonce à augmenter le prix du ticket de métro.
Dans tout le Chili, des manifestations gigantesques eurent lieu, l’armée répliqua et un couvre-feu fut installé. Le gouvernement accepta finalement ces revendications, mais le problème étant plus profond, elles furent suivies par d’autres : les Chiliens demandèrent par la suite la démission du président Piñera, la mise en place d’une nouvelle Constitution et une réforme du système des retraites. En effet, ces deux derniers restaient des vestiges de la dictature militaire de Pinochet.
Rappelons que la dictature a laissé des traces profondes et visibles encore à cette heure au Chili. Cet héritage funeste s’observe par exemple dans la perpétuation de certaines lois, mais également d’un certain modèle social et économique toujours en cours aujourd’hui. Les cicatrices laissées par cette dictature meurtrissent donc encore beaucoup de Chiliens à l’heure actuelle, et une réforme profonde des systèmes politiques et sociaux du Chili est donc exigée par les citoyens, qui ne supportent plus les inégalités.
« NOUS SOMMES AFFAMÉS » : LA COLÈRE DES HABITANTS D’EL BOSQUE
Le début du confinement au Chili a été établi le 15 mai à 22h en raison du couvre-feu. Pourtant et malgré cette mesure, les révoltes ne se sont pas taries. Le président du Chili Sebastián Piñera est une nouvelle fois critiqué pour les mesures qu’il a mises en place pour endiguer l’épidémie. Certains foyers vulnérables du Grand Santiago seraient en effet soumis à une quarantaine totale et donc dans l’impossibilité de se nourrir. Pour pallier ce problème, la campagne « Alimentos para Chile » a prévu que 2,5 millions de paniers alimentaires et produits de nettoyage soient livrés aux familles les plus précaires. La livraison de ces colis tarde et par conséquent, la révolte gronde. A El Bosque, les civils ont donc bravé la quarantaine et affronté les policiers, qui ont une nouvelle fois fait preuve de violence. Les slogans avec lesquels les manifestants ont défilé dans la rue étaient particulièrement éloquents : « Nous sommes affamés » ou encore « Nous mourons de faim », entre autres slogans hostiles à l’égard du gouvernement. Une habitante s’est exprimée et a déclaré à l’AFP que « ce n’est pas la quarantaine, c’est de l’aide, de la nourriture, voilà ce que demandent les gens en ce moment ».
Selon Sadi Melo, le maire de la commune, la plupart de la population soutient les habitants d’El Bosque. « Nous avons vu s’exprimer des centaines de civils, manifestant contre le manque de produits de base. Nous voulons lancer un appel urgent au gouvernement. » Il est donc en accord avec ces revendications, bien que la violence « ne soit pas le meilleur moyen de canaliser cette inquiétude », surtout dans la mesure où les manifestants s’exposent à la contagion. Les propos de Sadi Melo sont corroborés par Lucas Palacios, ministre de l’Économie, qui déclare à CNN Chili qu’il serait trop facile pour lui de dénoncer la violence depuis son bureau, et d’estimer leurs revendications incompréhensibles. « La vérité est que vous devez vous mettre à leur place (…) Les gens souffrent vraiment, ils souffrent du manque, de la pauvreté et du désespoir de ne pas pouvoir apporter de nourriture à leur famille. Vous devez comprendre que lorsque les gens sortent pour protester lorsqu’ils ont besoin d’aide, c’est parce qu’ils passent un moment réellement difficile, et nous en sommes conscients. »
D’autres incidents se sont produits : une barricade a été installée au Diagonal Paraguay, dans le centre de Santiago et au mémorial de Villa Francia, un bus de la compagnie Transantiago a été incendié. Des manifestations ont également eu lieu à Valparaíso, Viña del Mar et à Renca. Le maire de Valparaíso, Jorge Sharp, estime que « la situation est si grave qu’il est possible d’imaginer que des manifestations comme celles d’aujourd’hui auront lieu dans différentes parties du pays. Il est donc nécessaire de rouvrir la discussion d’un salaire d’urgence Covid-19, car avec 66 000 pesos chiliens (près de 75 euros), personne ne peut vivre dans la dignité. »
LA RÉACTION DU GOUVERNEMENT CHILIEN
Felipe Guevara, l’intendant métropolitain de la ville de Santiago, s’est opposé aux manifestants, quand bien même il dit compatir avec les manifestants. Il les a appelés à « reconsidérer » leurs positions. « Ils sont dans une commune mise en quarantaine et ce qu’ils font, c’est-à-dire se retrouver sans se distancier, leur est directement préjudiciable. Rester à la maison permet de lutter contre la pandémie (…) Je suis sûr que le coronavirus est très content de la façon dont ces gens agissent. » Ces révoltes divisent réellement les deux partis les plus représentatifs du Chili : l’UDI et le RN. Jacqueline Van Rysselberghe, présidente de l’UDI, a demandé au gouvernement d’être « ferme » et de porter plainte contre les manifestants, tandis que son homologue RN, Mario Desbordes, est tout à fait contre cette idée.
Le Grand Santiago, dont fait partie El Bosque, est en effet l’épicentre de l’épidémie de Covid-19 au Chili : 80 % des 46 000 cas de coronavirus y ont en effet été recensés. La capitale et son agglomération sont donc strictement verrouillées, et font face à des mesures très strictes, entre autres l’interdiction pour les habitants de sortir plus de cinq fois par semaine. Comme nous lors de notre confinement, ils doivent télécharger une attestation de sortie sur leur téléphone.
Par Jeanne Gosselin, le
Source: Courrier International
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