Ils vivent dans les arbres, semblent inoffensifs… et pourtant, leur sang est d’un vert éclatant, tout comme leurs os, leurs muscles, et même leur langue.

Ces reptiles étranges, qu’on appelle les scinques verts, fascinent les scientifiques depuis des décennies. Une couleur aussi inhabituelle à l’intérieur du corps interroge : comment peuvent-ils survivre à une telle toxicité ? Et surtout… pourquoi ?
Un fluide vital vert toxique… mais inoffensif pour ces lézards
Dans les forêts tropicales de Nouvelle-Guinée et des îles Salomon, plusieurs espèces du genre Prasinohaema présentent une particularité unique au monde : un sang vert fluo, saturé en biliverdine, un pigment issu de la dégradation des globules rouges.
Chez l’être humain, l’accumulation de biliverdine provoque la jaunisse, une affection grave, potentiellement mortelle. Mais chez ces lézards ? Elle est omniprésente, à des concentrations 40 fois supérieures à celles observées chez un humain malade. Et pourtant, les scinques semblent vivre normalement.
Pas de maladie, pas d’effet secondaire apparent. Leurs organes, leurs muscles, leur système nerveux : tout fonctionne comme si de rien n’était.
Le plus fou, c’est que cette particularité semble avoir évolué plusieurs fois de façon indépendante chez différentes espèces de scinques. Comme si, dans l’arbre de l’évolution, la nature avait tenté plusieurs fois cette expérience étrange : faire circuler un pigment toxique dans tout le corps, sans que cela ne cause de dégâts.
Un gène mystérieux et une protéine soupçonnée de neutraliser le poison
En 2024, une équipe de chercheurs de l’université Brigham-Young a décidé d’enquêter. Pour la première fois, ils ont réussi à séquencer le génome d’un scinque vert à partir d’un spécimen de musée. Objectif : comprendre comment ces animaux neutralisent la biliverdine.
Leur découverte ? Un gène inhabituel, qui pourrait coder une version modifiée d’une protéine appelée alpha-fœtoprotéine (AFP). Chez les mammifères, cette protéine joue un rôle pendant le développement fœtal. Chez les scinques, elle pourrait servir à lier la biliverdine dans le sang, et ainsi empêcher le pigment de détruire les cellules.
« Il est plausible que l’AFP agisse comme une éponge, maintenant la biliverdine en circulation sans lui permettre d’endommager les tissus », expliquent les chercheurs. Ce mécanisme, encore mal compris, ouvre des perspectives fascinantes pour la médecine, notamment dans la lutte contre les maladies du foie ou les intoxications biliaires.
Un casse-tête évolutif qui reste entier : pourquoi ce sang vert ?
Malgré ces avancées, la question la plus essentielle reste sans réponse : pourquoi certains lézards ont-ils évolué vers un sang vert ?
Est-ce une forme de camouflage interne contre des parasites sanguins ? Une défense chimique contre les prédateurs ? Ou bien un effet secondaire bénéfique d’un tout autre processus évolutif ?
Les scientifiques n’en savent rien pour l’instant. Ce qui est sûr, c’est que cette couleur verte ne sert pas à la reproduction, ni à la communication, du moins pas de façon évidente. Elle ne semble pas non plus apporter de résistance visible à un environnement particulier. Bref, c’est un mystère biologique total.
Mais un mystère qui passionne, car il illustre à quel point la vie peut prendre des chemins improbables. En défiant les règles, ces scinques rappellent que l’évolution ne suit pas toujours un plan logique. Parfois, elle expérimente. Et parfois, ça marche… au point de nous laisser sans explication.
Des pistes pour la science, et un nouvel espoir médical ?
Comprendre pourquoi et comment ces lézards produisent autant de biliverdine sans en subir les conséquences pourrait permettre de mieux traiter certaines maladies humaines.
C’est pourquoi les chercheurs poursuivent leurs investigations : en explorant plus à fond le génome des scinques, ils espèrent découvrir d’autres mutations utiles ou des mécanismes de résistance cellulaire.
Le premier génome de référence publié est un pas décisif, mais ce n’est qu’un début. Ces lézards verts pourraient bien, demain, révolutionner la médecine, tout en continuant à nous émerveiller par leur étrangeté.
Par Eric Rafidiarimanana, le
Catégories: Sciences, Animaux & Végétaux