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Les chercheurs décryptent le mystère du « requin fantôme », ce poisson aux dents frontales uniques au monde

Un poisson à l’allure étrange fascine les biologistes : le poisson-rat tacheté, surnommé « requin fantôme », possède des dents… sur le front. Longtemps restée mystérieuse, cette particularité anatomique vient de livrer ses secrets grâce à une combinaison de fossiles anciens et de génétique moderne.

Illustration d’un requin fantôme bioluminescent évoluant dans les profondeurs marines.
Représentation artistique d’un requin fantôme, une espèce abyssale aux motifs lumineux qui fascine les chercheurs – DailyGeekShow.com

Ce poisson pas comme les autres possède un appendice denté entre les yeux

Dans les profondeurs du nord-est de l’océan Pacifique, on trouve un animal qui semble tout droit sorti d’un film fantastique. Le poisson-rat tacheté, aussi appelé chimère ou requin fantôme, appartient à une lignée ancienne de poissons cartilagineux, cousine des raies et des requins.

Il mesure généralement entre 60 centimètres et un mètre, avec une longue queue effilée et une nage lente, presque planante.

Hydrolagus colliei
Hydrolagus colliei — © Katherine Panfilova / iNaturalist / CC-BY

Mais ce qui intrigue les scientifiques, ce n’est pas sa forme ou sa taille : c’est son front. Les mâles adultes présentent un appendice blanc situé entre les yeux, connu sous le nom de tenaculum. Discret en apparence, ce dernier se révèle en saison de reproduction. Il se dresse alors, hérissé de petites dents crochues, comme une minuscule mâchoire déplacée. Ces dents frontales, uniques dans le règne animal, intriguent les chercheurs depuis des décennies.

Ces dents sur le front ne sont pas décoratives : elles servent à se reproduire

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ces dents frontales ne servent pas à se nourrir. Leur rôle est strictement sexuel. Lors de l’accouplement, le mâle utilise son tenaculum pour saisir les nageoires pectorales de la femelle, assurant ainsi une position stable dans l’eau durant la reproduction.

Cette technique est particulièrement utile dans les environnements profonds et parfois agités où vivent ces poissons. Les dents permettent un maintien ferme, mais pas sans conséquence : les chercheurs ont observé des cicatrices sur les femelles, preuve que cet organe peut laisser des traces.

— © Cohen et al. / PNAS 2025

Autre usage suspecté : la compétition entre mâles. Le tenaculum pourrait aussi servir à impressionner ou repousser les rivaux, ajoutant une dimension sociale et compétitive à cet appendice. En somme, il s’agit d’un outil multifonction : accouplement, domination, séduction.

Une origine évolutive ancienne : les premières dents frontales datent de 315 millions d’années

La grande question restait : comment un poisson peut-il avoir des dents sur le front ? Pour y répondre, une équipe de chercheurs, dont Karly Cohen (université de Washington) et Gareth Fraser (université de Floride), a combiné l’analyse de fossiles et des tests génétiques sur des spécimens actuels.

Ils ont découvert qu’un fossile vieux de 315 millions d’années, appartenant à une espèce disparue nommée Helodus simplex, présentait lui aussi un appendice denté similaire au tenaculum. Cette découverte indique que cette caractéristique n’est pas nouvelle, mais profondément ancrée dans l’histoire évolutive des poissons cartilagineux.

Plus surprenant encore : les dents du tenaculum se développent à partir de la même structure que celles de la bouche, appelée lamina dentaire. Il s’agit donc de vraies dents, produites hors de la mâchoire, ce qui constitue une première dans le monde animal. Les chercheurs parlent d’une translocation évolutive : un programme biologique, celui de la fabrication des dents, aurait simplement été « copié-collé » ailleurs sur le corps.

Une découverte qui bouleverse notre vision de l’évolution dentaire chez les vertébrés

Cette découverte change notre compréhension de l’évolution dentaire chez les vertébrés. Jusqu’ici, on pensait que les dents, pour être vraies, devaient forcément être situées dans ou autour de la bouche. Le cas du requin fantôme démontre que la nature peut déplacer et reprogrammer des structures complexes pour des usages totalement nouveaux.

Cela ouvre la porte à de nombreuses questions :

  • Existe-t-il d’autres espèces aux dents excentrées que nous n’avons pas encore observées ?
  • Peut-on imaginer des équivalents chez les animaux terrestres ?
  • Le développement de telles structures est-il rare ou sous-estimé ?

Pour les scientifiques, cette découverte est bien plus qu’une curiosité : c’est une fenêtre sur la souplesse de l’évolution. Et une démonstration supplémentaire que l’océan recèle des merveilles insoupçonnées.

Par Eric Rafidiarimanana, le

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