Au sein de la petite société matriarcale des Kunas, vivant dans un archipel situé au large des côtes du Panama, les femmes sont vénérées et les personnes transgenres largement acceptées et célébrées : un bel exemple de tolérance et d’ouverture d’esprit qui défie les stéréotypes.
TOLÉRANCE ET RESPECT DE TOUS
Également connu sous le nom de San Blas, cet archipel est composé de 300 îles où vivent quelques 50 000 représentants du peuple indigène des Kunas. Comme leurs ancêtres, ils vivent dans de modestes cabanes de bois recouvertes de feuilles de palmier, à l’intérieur desquelles sont pendus des hamacs, et comme leurs ancêtres, ils font preuve d’une incroyable ouverture d’esprit.
La tolérance et l’égalité entre les sexes constituent des valeurs fondamentales chez les Kunas. Les femmes peuvent en effet accéder à la propriété ou tenir les rênes de leur communauté, et les garçons peuvent choisir de devenir Omeggid, qui signifie littéralement « comme une femme », un troisième genre largement accepté et célébré dans l’archipel.
LES FEMMES TRANSGENRES SONT APPELÉES « OMEGGIDS »
Lorsqu’un garçon adopte des attitudes ou comportements jugés « féminins », sa famille accepte son genre et lui permet de s’assumer pleinement en grandissant. Très souvent, les Omeggids exerceront un métier typiquement associé aux femmes de l’archipel, comme la confection des « molas », des vêtements traditionnels brodés aux motifs complexes.
Anthropologue à l’Université de Sao Paulo, Diego Madi Dias a vécu auprès des Kunas pendant plus de deux ans et a constaté que les puissantes figures matriarcales de cette petite société avaient une influence majeure sur les hommes de l’archipel.
Comme il l’explique : « Les Kunas m’ont enseigné que les enfants étaient libres d’être eux-mêmes et que leur « moi intérieur » se manifestait très tôt. Ainsi, les jeunes garçons ayant une identité de genre féminine sont très largement encouragés à l’assumer pleinement ».
Selon Nandin Solis Garcia, militante LGBT vivant à Panama, grandir en tant que transgenre sur les îles de Kuna Yala était facile, car elle a toujours reçu le soutien de sa famille, de ses amis et de sa communauté. Et bien qu’ils soient largement minoritaires, les hommes transgenres sont également acceptés.
LES JEUNES GARÇONS ET FILLES TRANSGENRES REÇOIVENT LE SOUTIEN DE LEUR FAMILLE, DE LEURS AMIS ET DE LEUR COMMUNAUTÉ
Pour Solis Garcia : « Historiquement, il y a toujours eu des personnes transgenres dans l’archipel et le terme Omeggid provient de la mythologie kuna. Selon la légende, un homme nommé Ibeorgun, accompagné de sa fille Gigadyriai et de son petit frère Wigudun, qui appartenait au « troisième sexe », auraient fourni au peuple kuna les lois, traditions et directives indispensables à sa survie ».
Les femmes de Kuna Yala jouissent d’un statut élevé. Avant un mariage traditionnel, c’est le futur marié qui est « enlevé » et qui doit être retrouvé par sa fiancée, et lorsque l’union est célébrée, c’est également lui qui emménage dans la maison de la mariée. Dès lors, c’est la famille de sa femme qui supervise ses activités et décide par exemple avec qui il peut partager le poisson qu’il pêche ou les fruits qu’il cultive.
Les trois fêtes traditionnelles (naissance, puberté et mariage) les plus importantes des îles Kuna Yala concernent également les femmes. Quand une fille naît, toute la communauté se réunit pour célébrer l’évènement et boit de la chicha (une bière forte locale), et son septum est percé et orné d’un anneau en or lors de son passage à l’âge adulte.
Bien que les hommes s’occupent généralement de la pêche, de la chasse et des cultures, le travail des femmes est considéré comme tout aussi important. Avec l’essor du tourisme, ces dernières participent activement à l’économie de l’archipel en vendant molas et winis (des bracelets colorés composés de perles) à prix d’or. Ainsi, une mola se vendra entre 30 et 50 dollars, alors qu’un homme gagnera difficilement plus de 20 dollars en un journée.
Comme l’explique David, travaillant comme guide touristique sur l’une des îles habitées de l’archipel : « Chez les Kunas, la valeur du travail n’est pas hiérarchisée. La pêche, la chasse, la cuisine et la garde d’enfants sont considérées sur le même plan. Ici le travail des femmes n’est pas considéré comme étant de moindre importance ».
« CHEZ LES KUNAS, LA VALEUR DU TRAVAIL N’EST PAS HIÉRARCHISÉE »
Omniprésente à Kuna Yula, la communauté Omeggid est quant à elle traitée de la même manière que les autres membres de cette petite société. Ses plus jeunes représentantes apprennent à coudre les vêtements traditionnels, tandis que les plus âgées se chargent de les vendre, travaillent comme interprètes et font visiter l’archipel aux touristes.
Comme l’explique Diego Madi Dias : « Le concept de troisième sexe et de fluidité des genres remonte à la nuit des temps, comme en témoignent les Hijras en Inde, les Meti au Népal, les Fa’afafine aux Samoa ou les personnes « bi-spirituelles » en Amérique du Nord. La société occidentale s’est construite autour du mythe du binarisme de genre, mais l’expression de notre « moi profond » n’est pas une affaire d’hormones ou de chromosomes. C’est avant tout une façon de s’ouvrir au monde en étant soi-même ».
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