Situé en plein Pacifique, l’atoll de Pingelap possède toutes les caractéristiques des îles micronésiennes : plages de sable fin, eaux turquoise et cocotiers. Mais il s’avère qu’une partie de ses 250 habitants, touchée par une maladie génétique, n’aura jamais la chance d’observer les nuances de couleurs chatoyantes offertes par cet environnement paradisiaque.
Pingelap ou l’île en noir et blanc
C’est en 1996 que les médias grand public font état pour la première fois de l’étrange particularité touchant l’atoll de Pingelap, suite à la parution de l’ouvrage du médecin et écrivain britannique Oliver Sacks, intitulé à juste titre « L’île en noir et blanc ». Alors que le daltonisme « classique » touche environ 8 % des hommes contre 0,5 % des femmes, environ 10 % de la population de cette petite île micronésienne souffre d’achromatopsie, se traduisant par une vision exclusivement composée de nuances de gris. Ailleurs dans le monde, cette maladie génétique rare ne touche qu’une personne sur 30 000.
Une telle concentration de cas ne résulte pas d’une adaptation évolutive visant à tirer un quelconque avantage de l’environnement, mais plutôt d’un malheureux concours de circonstances. Pour comprendre les origines de cette achromatopsie endémique, il faut remonter à 1775, lorsqu’un typhon a dévasté l’atoll, ne laissant derrière lui que quelques survivants. Faisant partie des rares hommes à avoir survécu, le roi Mwahuele, porteur sain de l’anomalie génétique de l’achromatopsie, a alors entrepris de repeupler l’île en procréant avec trois femmes, elles-mêmes porteuses de la mutation.
En l’espace de quelques générations seulement, cette pathologie rare a commencé à émerger au sein de la population de l’île, et a continué à prospérer au gré d’unions consanguines.
La « maladie des yeux éteints »
Chez un individu sain, la perception des couleurs est assurée par trois types de photorécepteurs coniques, localisés au niveau de la rétine et pouvant être sensibles au rouge, au vert ou au bleu. L’achromatopsie survient précisément lorsque aucun de ces cônes ne fonctionne correctement, laissant les bâtonnets, sensibles à la lumière, faire tout le travail. Également localisés au niveau de la rétine, ceux-ci ne détectent que l’intensité de la lumière ambiante, ce qui se traduit par une vision en noir et blanc chez les individus touchés par cette condition génétique appelée « maskun » en langue locale, signifiant littéralement « maladie des yeux éteints ».
Ne pas pouvoir profiter d’un large spectre de couleurs et souffrir d’une faible acuité visuelle ne sont toutefois pas les seuls inconvénients pour les personnes atteintes d’achromatopsie. Leurs yeux ont en effet également tendance à être très sensibles à la lumière vive, ce qui peut rendre la réalisation des tâches quotidiennes sur une île bénéficiant d’un large ensoleillement particulièrement éprouvante. Toutefois, les personnes touchées ont la particularité de posséder une excellente vision dans l’obscurité, ce qui s’avère pratique pour une autre tradition insulaire : la capture de poissons volants.
« Chacun sait à Pingelap que ceux qui ont le maskun se débrouillent mieux lorsque la vision scotopique est requise – à l’aube, au crépuscule et au clair de lune –, c’est pourquoi les achromates travaillent souvent comme pêcheurs la nuit. Ils sont insurpassables dans cette tâche », écrivait notamment Oliver Sacks.
Par Yann Contegat, le
Source: Le Monde
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