La réalité virtuelle, un rêve maintenant bien vieux, un rêve maintenant bien réel. Hyper-connectée, notre vie est sollicitée, définie, normalisée, jaugée, récompensée par cette information qui s’échange. L’humain évolue vers une conscience collective violente, où chaque bribe de notre existence rentre dans une statistique utile à un autre, prix à payer pour rester connecté au monde. Difficile d’imaginer un monde où le virtuel habillera entièrement notre réalité comme les posters et stickers affichaient nos préférences d’ados. Impossible d’imaginer un monde sans. Dans Hyper-Reality, Keiichi Matsuda tente d’ouvrir une fenêtre sur cet avenir.
Toutes ces choses que l’on nous promet sans encore en connaître le prix font peur. Votre identité, vos données personnelles sont utilisées, marchandées en échange de service dits gratuits sur Internet ou votre smartphone. Toutefois nous restons enthousiastes face à cette évolution vue comme une opportunité d’améliorer les choses. La réalité augmentée serait un outil formidable pour la culture, l’éducation, l’information et bien d’autres encore. Alors, qu’est-ce qui nous attend ? À quoi ressemblera cette nouvelle vie ?
Keiichi Matsuda, designer et cinéaste, s’intéresse de près aux implications des technologies émergentes dans la perception de notre environnement. Les frontières entre le monde virtuel et physique s’effacent pour laisser place à une chimère fantasmée et redoutée. Ce n’est pas son premier travail sur le sujet pour lequel il utilise également la vidéo, l’architecture et les médias interactifs pour revisiter notre conception de la ville.
Très impliqué dans cette nouvelle ère de l’information, il conçoit déjà Google comme un moyen de voyager dans le passé. Une vidéo live de la planète qui pourra s’afficher dans notre réalité via Street View pour revivre les évènements comme si l’on y était. Dans Hyper-Reality, son dernier travail, il imagine un scénario futuriste où le média digital et le monde physique ont fusionné, agissant comme un kaléidoscope sur l’hyper-réalité latente. Ces 6 minutes exposent le concept d’une vie saturée d’interfaces virtuelles interactives, d’identités contrôlées et autres plateformes digitales qui habillent littéralement la ville.
Cette ville, c’est Medellin, en Colombie. Nous sommes Juliana Restrepo, 42 ans, déçue par la vie. Le point de vue à la première personne nous submerge instantanément d’informations que nous avons l’habitude d’utiliser, mais en les gardant sous contrôle dans notre poche. Ici, tout est affiché, tout est implémenté dans l’environnement direct, saturant notre champ de vision et déformant notre réalité.
Notre vie est devenue un jeu où travailler, dormir, consommer, prier, sociabiliser sera récompensé par un sponsor ou nous donnera accès à de nouvelles options pour encore plus d’informations et services. Tout clignote, tout sollicite votre attention. Un mouvement de la main fait apparaître Google et d’un simple mot la recherche est lancée. Des symboles et signes recouvrent toutes les surfaces urbaines, allant jusqu’à signaler lorsqu’il est sûr de traverser la route. Un chemin s’affiche directement sur le sol pour vous guider via votre GPS vers votre prochaine destination.
Toutefois Juliana n’est pas heureuse. Elle hésite à recommencer sa vie qui consisterait à réinitialiser son profil, mais les points cumulés par son travail acharné seraient alors perdus et les avantages acquis dans cette réalité augmentée, sa réalité, disparaitraient. Alors qu’elle doute, quelqu’un prendra la décision pour elle. Un hacker à l’apparence buggée implante une anomalie dans son profil et la dépouille de tous ses précieux points.
Cette œuvre à la limite de la dystopie nous donne une bouchée de futur concentré. L’intention n’est pas d’effrayer mais bien d’imager l’évolution des communications dans notre société et son impact sur notre quotidien. Un film dérangeant, fascinant, où chaque détail est pensé, placé pour nous faire ressentir la pression de l’Hyper-Reality dans une atmosphère grisante. Keiichi Matsuda prophétise ici la réalité du virtuel.
Par Gabriel Pilet, le
Source: ©Keiichi Matsuda
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