Le monde moderne est peuplé de maux en tout genre. Si les catastrophes naturelles, les épidémies, et les guerres semblent aller de mal en pis d’année en année ; il existe également de nombreux phénomènes sociaux et psychologiques qui font trembler un peu plus chaque jour les sociétés humaines. Ces phénomènes sont encore mal compris par les scientifiques, et ils sont parfois difficiles à accepter pour les autres membres de la société. L’un d’entre eux s’appelle l’Hikikomori.
Près de 700 000 jeunes Japonais sont actuellement portés disparus. Ils semblent avoir disparu de la surface de la Terre. Ils ne travaillent pas, ils ne s’engagent pas socialement et ils sont partis pendant des années. Il s’agit en général de jeunes hommes âgés de 15 à 34 ans. Ces jeunes ont soudainement quitté l’école, le collège ou une carrière prometteuse. Dans certains cas, ils ne seront plus jamais entendus. Ces jeunes gens n’ont pourtant pas été enlevés, et personne n’a signalé leur disparition, étant donné qu’ils sont tout simplement enfermés dans leur chambre ; ne le quittant que très rarement, et ce parfois pendant plusieurs années.
Le phénomène est si grave qu’on lui a attribué un nom : Hikikomori. Hikikomori est un terme japonais utilisé pour désigner des personnes qui ont choisi de se retirer de la vie sociale, recherchant souvent des niveaux extrêmes d’isolement et de confinement. Ces choix sont causés par des facteurs personnels et sociaux de divers types. Il est à noter que si les hommes japonais sont les plus affectés par ce phénomène, il touche également les femmes ; et depuis un certain temps, d’autres personnes non-japonaises ont également de suivre la « tendance ».
OFFICIELLEMENT, Y AVAIT ENVIRON 230 000 HIKIKOMORI AU JAPON EN 2012, SOIT PRÈS DE 0,2 % DE LA POPULATION QUI ÉTAIT DE 127 MILLIONS
Le mode de vie des hikikomori se caractérise par un rythme circadien de veille-sommeil complètement inversé. Les heures nocturnes sont alors souvent consacrées à des éléments typiques de la culture populaire japonaise, tels que la passion du monde des mangas et des jeux vidéo. Dans certains cas, on remarque que la vie sociale réelle a été remplacée par des relations virtuelles ; mais il a notamment été constaté que seulement 10 % des hikikomori utilisent internet. L’absence de contact social et la solitude prolongée ont des effets profonds sur ces personnes, qui perdent progressivement leurs compétences sociales, leurs références comportementales et leurs aptitudes à la communication nécessaires pour interagir avec le monde extérieur.
La culture japonaise au cœur de ce mal-être
Parmi les plus courants des facteurs de l’Hikikomori, il y a la particularité du contexte familial au Japon, caractérisé par l’absence de figure paternelle et une protection maternelle excessive, ainsi que par la grande pression de la société japonaise sur la réalisation de soi et la réussite personnelle, à laquelle l’individu est soumis depuis son adolescence. Le terme hikikomori désigne à la fois le phénomène social en général et les personnes appartenant à ce groupe social.
L’HIKIKOMORI EXISTE AU JAPON DEPUIS LES ANNÉES 1990
Une partie de la raison de cette forme extrême d’isolement est également due au ralentissement de l’économie japonaise, où rien ne garantit un emploi, même si l’on sort d’une université prestigieuse avec des résultats supérieurs à la moyenne. Ces problèmes économiques sont en plus aggravés par le sentiment de honte ou d’échec séculaire ancré dans la culture collectiviste japonaise lorsqu’on n’arrive pas à suivre les normes de réussite de la société. Une partie intégrante de cette honte culturelle est la nécessité de cacher ses préoccupations aux autres, même au point de se cacher de soi-même.
L’un des facteurs qui influence ce phénomène réside également dans le fait que les Japonais sont, de par leur nature et leur culture, des personnes peu démonstratives et affectueuses. En effet, une certaine réserve est de rigueur dans la majorité des familles japonaises, et les démonstrations d’affection sont ainsi rares, même entre membres de la famille nucléaire, et même dans un couple. À cela s’ajoute également le rôle attribué aux membres de chaque genre : plus de pression pèse sur les épaules des hommes, alors que démographiquement, le Japon a moins en moins de garçons alors que le taux de natalité ne cesse de baisser.
Comment l’Hikikomori affecte le Japon ?
Il est évident que ces jeunes hikikomori constituent un grave problème social pour le Japon, mais ils constituent également une menace socio-économique encore plus grande. Si l’on en croit les chiffres les plus élevés, il y a environ 2 000 000 de jeunes qui ne font plus partie de la société au Japon ; et selon certains chercheurs, ce nombre augmente rapidement. Ces jeunes ne cherchent plus et ne trouvent pas d’emploi, ils ne cotisent pas aux programmes sociaux, ils ne se marient pas et ils n’ont pas d’enfants. Cela n’améliore pas la démographie qui, en plus de la baisse de la natalité, a une population de plus en plus vieillissante.
Si ces jeunes semblent déjà problématiques individuellement, ils représentent une véritable catastrophe économique dans leur ensemble. Le salaire moyen des Japonais est d’environ 3,5 millions de yens par an, soit environ 25000 €. Au Japon, on paie environ 70 000 yens de son salaire mensuel en assurance maladie, impôt et retraite, si le salaire mensuel moyen est de 290 000 yens (3,5 millions de yens / 12 mois). Or, si un individu paie 70 000 yens au gouvernement, cela fait au total de cotisation de 840 000 yens par an et par individu. Avec seulement 100 000 hikikomori qui sont en âge de travailler ne cotisant pas au système, le gouvernement perd alors chaque année environ 840 millions de yens (environ 6 millions d’euros) ; or le nombre d’Hikikomori est évalué à beaucoup plus que cela, et avec 2 millions d’Hikikomori, les pertes s’élèvent alors à 1680 milliards de yens (environ 12 milliards d’euros).
LE PSYCHIATRE TAMAKI SAITO EST RECONNU INTERNATIONALEMENT COMME ÉTANT LE PRINCIPAL EXPERT DE L’HIKIKOMORI DU JAPON
Face à ce problème, les autorités japonaises ont été obligées de leur allouer un fonds spécial, afin d’essayer d’endiguer peu à peu le marasme. Ainsi, en 2010, le gouvernement japonais a dépensé plus de 20 millions d’euros pour tenter de faire sortir les hikikomori de leur isolement. De nombreux programmes de réintègrement dans la société ont été programmés, et des groupes d’aide aux hikikomori et à leurs familles ont été créés un peu partout au Japon. Des magazines spécialement dédiés ont même été lancés pour les aider à leur réintégration dans la société.