Des siècles avant que le mariage entre deux personnes de même sexe ne soit légalisé, les relations homosexuelles au sein de l’armée étaient fréquentes, mais généralement cachées. Retour sur la vie de Friedrich von Steuben, ce héros méconnu ouvertement gay qui s’illustra durant la guerre d’indépendance des États-Unis.
UN HÉROS MÉCONNU
Trois ans après le début de la guerre d’indépendance opposant les treize colonies d’Amérique du Nord au royaume de Grande-Bretagne, le moral de l’armée américaine est au plus bas et les hommes manquent de nourriture et de discipline. Pour remédier à cela et remettre ses troupes en ordre de marche, George Washington fait appel au baron Friedrich von Steuben, un militaire prussien.
C’est Benjamin Franklin qui a recommandé Von Steuben à Washington, ignorant les rumeurs voulant que le baron ait été renvoyé de l’armée prussienne en raison de son homosexualité avérée. Ce jeune soldat prometteur l’avait rejointe à l’âge de 17 ans et était rapidement devenu l’assistant personnel de Frédéric le Grand, avant d’en être licencié en 1763.
Lorsque Von Steuben est contacté par Franklin pour venir prêter main forte à l’armée continentale, il tente d’obtenir un poste au tribunal de Baden, mais sa demande est rejetée après qu’une lettre anonyme l’accuse d’avoir eu des « comportements déplacés envers de jeunes garçons ».
Comme le note l’historien William E. Benemann, aucune preuve historique ne permet d’affirmer que le baron était pédophile, mais en choisissant d’afficher ouvertement son homosexualité à une époque où elle est considérée comme un crime contre nature par nombre de ses pairs, Von Steuben dérange et est finalement contraint de fuir son pays.
DISCRIMINÉ EN RAISON DE SON ORIENTATION SEXUELLE, VON STEUBEN EST CONTRAINT DE FUIR SON PAYS
George Washington a eu vent de ces rumeurs, mais il estime que la vie privée du baron Von Steuben n’a aucun rapport avec ses aptitudes militaires. À son arrivée au camp, il l’accueille à bras ouverts et lui assigne Alexander Hamilton et John Lauren, qui vivent à l’époque ce que les historiens appellent une « amitié romantique », en tant qu’assistants.
Après avoir fait la connaissance du baron, Washington écrit : « D’après le peu que je sais de lui, cet homme semble être un gentleman particulièrement cultivé ainsi qu’un fin stratège militaire. »
Friedrich von Steuben est consterné par les conditions dans lesquelles les soldats se battent et se met rapidement au travail en mettant à profit les connaissances qu’il a accumulées en servant l’armée prussienne. Il enseigne notamment aux hommes des techniques de combat plus efficaces et leur inculque la discipline dont ils ont tant besoin.
Encore utilisée aujourd’hui par l’armée américaine, sa méthode s’avère rapidement payante, et les excellents résultats qu’il obtient lui permettent de devenir l’un des conseilleurs les plus fiables de Washington, puis son chef d’état-major. Sa contribution est telle que les historiens le considèrent aujourd’hui comme l’un des principaux artisans de la victoire des Américains dans la guerre d’indépendance.
VON STEUBEN A ÉTÉ L’UN DES PRINCIPAUX ARTISANS DE LA VICTOIRE DES AMÉRICAINS DANS LA GUERRE D’INDÉPENDANCE
Durant les longs mois qu’il a passé à Valley Forge, Von Steuben est devenu très proche de William North et de Benjamin Walker, deux jeunes aides de camp impliqués dans une « amitié romantique ». Lorsque la guerre s’achève, le baron obtient la citoyenneté américaine et s’installe avec eux à New York après les avoir adoptés (une pratique courante à l’époque). North écrit d’ailleurs à son sujet : « Nous l’aimons, et il le mérite car il nous aime tendrement. »
North et Walker sont chargés de gérer ses finances précaires jusqu’à sa mort en 1794 et reçoivent la quasi-totalité de sa succession, tandis que John Mullingan, son secrétaire qui entretenait probablement une relation avec le baron, hérite de sa bibliothèque ainsi que d’une petite somme d’argent.
À une époque où le concept de mariage gay et de « coming out » était tout simplement impensable en Amérique, les relations entre deux personnes de même sexe étaient en réalité bien plus courantes qu’on ne le pense, et étaient même largement tolérées au sein de l’armée jusqu’au début du XXe siècle. C’est d’ailleurs probablement pour cette raison que la contribution essentielle de Von Steuben, qui n’a jamais caché son homosexualité, est aujourd’hui paradoxalement sous-estimée.