
Les ancêtres éteints de l’humanité ne vivaient pas dans des sociétés égalitaires, du moins en ce qui concerne la taille corporelle. Deux espèces éteintes, Australopithecus afarensis et Australopithecus africanus, présentaient un dimorphisme sexuel beaucoup plus prononcé que celui observé chez les chimpanzés ou les humains modernes. Parmi elles, Australopithecus afarensis montrait un écart encore plus important qu’Australopithecus africanus, d’après les recherches du Dr Gordon, affilié aux universités d’Albany et de Durham.
Un indicateur comportemental
Le dimorphisme sexuel, au-delà de ses aspects physiques, reflète des comportements et stratégies évolutives. Selon la théorie de la sélection sexuelle, un fort dimorphisme chez les primates actuels est souvent associé à une intense compétition entre mâles, favorisant des systèmes sociaux polygames où quelques mâles dominants monopolisent l’accès aux femelles.
À l’inverse, un faible dimorphisme est généralement observé dans des structures sociales monogames où la compétition pour l’accouplement est réduite. Chez les humains modernes, ce dimorphisme est modéré, avec des hommes légèrement plus grands que les femmes, mais une importante zone de chevauchement en matière de taille.
Analyse des fossiles
Déterminer le sexe d’un fossile est une tâche ardue, car les restes sont rarement complets. Pour surmonter cette contrainte, le Dr Gordon a utilisé une méthode innovante basée sur des moyennes géométriques de plusieurs éléments squelettiques, notamment le fémur, le tibia ou encore l’humérus, afin d’estimer la taille corporelle globale.
Il a ensuite simulé des milliers de comparaisons avec des squelettes complets de primates modernes (gorilles, chimpanzés et humains) dont le sexe est connu, en tenant compte du caractère fragmentaire des fossiles. Contrairement à des études antérieures, qui concluaient parfois à une similarité faute de données claires, les techniques du Dr Gordon ont mis en évidence des différences notables, même avec des échantillons limités.
Pour s’assurer que les différences de taille observées ne reflétaient pas une évolution graduelle au fil du temps, il a examiné des fossiles d’A. afarensis répartis sur 300 000 ans dans la formation d’Hadar, en Éthiopie. Aucune tendance évolutive claire n’est apparue. Les variations de taille sont donc attribuables à des différences entre les mâles et les femelles plutôt qu’à un changement progressif au sein de l’espèce.
Des différences marquées
Chez Australopithecus afarensis, les mâles étaient significativement plus grands que les femelles, dépassant même les écarts observés chez les grands singes actuels. Bien que les deux espèces d’australopithèques étudiées présentaient un dimorphisme sexuel plus important que les humains modernes, elles différaient également entre elles, ce qui révèle des pressions évolutives variées.
Mais la différence de taille ne se limite pas à une question de domination mâle. Selon les recherches précédentes du Dr Gordon, un dimorphisme sexuel marqué peut également s’expliquer par des pressions environnementales. Lorsque les ressources sont rares, des femelles plus petites et plus économes en énergie peuvent avoir un avantage reproductif, en accumulant plus facilement les réserves nécessaires à la gestation et à l’allaitement. Cette dynamique pourrait avoir contribué à renforcer l’écart de taille entre les sexes.
Ainsi, chez les australopithèques, les mâles auraient tiré profit d’une grande stature pour dominer socialement et se reproduire davantage, tandis que les femelles auraient été avantagées par une petite taille dans des contextes de pénurie alimentaire.
Implications sociales et évolutives
Les résultats de ce travail, publié dans The American Journal of Biological Anthropology, offrent un aperçu des modes de vie des premiers hominidés. Australopithecus afarensis, qui vivait entre 3,9 et 2,9 millions d’années, pourrait avoir évolué dans un système social hautement hiérarchisé et compétitif. À l’inverse, Australopithecus africanus, moins dimorphique et apparu plus tardivement (entre 3,3 et 2,1 millions d’années), pourrait représenter une étape vers des comportements sociaux plus proches des humains.
Selon le Dr Gordon, cette disparité entre les deux espèces met en lumière une diversité insoupçonnée des pressions évolutives à l’œuvre chez les premiers hominidés. Là où les espèces vivantes présentent des différences modérées entre genres, ces ancêtres communs se distinguaient déjà fortement les uns des autres dans leurs modes de vie et d’interaction sociale.
Alors qu’Australopithecus était généralement considéré comme un groupe relativement homogène (l’« Australopithecus gracile »), cette étude suggère que leurs sociétés auraient pu être aussi diverses que celles des grands singes modernes. Le fort dimorphisme sexuel d’A. afarensis laisse entrevoir une hiérarchie stricte, marquée par la rivalité entre mâles et une sélection sexuelle impitoyable. Par ailleurs, voici 5 faits que vous ne soupçonniez peut-être pas sur Lucy, la plus célèbre australopithèque de l’Histoire.
Par Eric Rafidiarimanana, le
Source: Sci.news
Étiquettes: fossile, australopithèque
Catégories: Actualités, Histoire