Fargo, le film, est un chef-d’œuvre. Son univers, son humour, ses personnages et son intrigue dérangent et pourtant fascinent. Fargo, la série, semble du même acabit. Chaperonné par les frères Coen à la production, Noah Hawley son créateur nous replonge dans les neiges immaculées du Minnesota histoire de les tacher de quelques meurtres.
Fargo est donc une série américaine d’anthologie créée en 2014 par Noah Hawley et produite par la chaîne FX. Elle est diffusée depuis le 15 avril 2014 en Amérique du Nord et depuis le 15 septembre 2014 en France via Netflix. L’univers émerge directement du film éponyme, écrit et réalisé par les frères Coen, également producteurs de la série. Cette comédie noire sur fond de thriller policier avait ravi le public en 1996 et c’est la même énergie qui a été insufflée dans les deux premières saisons.
On pourrait croire que ceci est une histoire vraie comme annoncé au début de chaque épisode et les événements relatés ont bien lieu en 2006 dans le Minnesota, à Bemidji pour être précis. Ayant fini de jouer le Hobbit, la première saison nous offre Martin Freeman en commercial en assurances du nom de Lester Nygaard, qui a une légère tendance à se laisser marcher sur les pieds. Toutefois sa rencontre avec Lorne Malvo va profondément modifier son quotidien et surtout perturber le charme de la gentille bourgade. Interprété par Billy Bob Thornton, Malvo fait tache dans le décor. Des taches de sang. Ce tueur à gage de passage terrorise la population locale dans des actes de violence insensés. Heureusement, Gus Grimly et Molly Solverson, officiers de police, sont sur l’affaire et comptent bien ramener le calme à Bemidji.
La seconde saison annoncée comme un prologue nous ramène à l’incident survenu en 1979 à Sioux Falls, dans le Dakota du Sud. Nous retrouvons Kirsten Dunst sous le nom de Peggy Blumquist, simple esthéticienne de Luverne, Minnesota. Après avoir renversé un des fils de la mafia locale, Rye Gerhardt, avec sa voiture, elle décide de ramener le corps chez elle et de s’en débarrasser avec l’aide de son mari Ed, gentil boucher benêt interprété par Jesse Plemons. Seulement, la police, représentée par Hank Larsson et Lou Solverson, est sur la trace du malfrat qui semble lié à 3 meurtres. Un problème se profile donc pour les époux Blumquist.
Deux saisons, deux années de succès pour Fargo, dont le travail a déjà été salué par plusieurs récompenses : 3 Critics’ Choice Television Awards et 2 Emmy Awards en 2014, ainsi que 2 Golden Globes en 2015. Utiliser le format particulier de l’anthologie a indéniablement contribué au succès de la série. Ce genre reviendrait-il en force ?
La Quatrième Dimension, Alfred Hitchcock présente, Au-delà du réel, Les Contes de la crypte, Chair de poule, Les Maîtres de l’horreur ou plus récemment Black Mirror sont toutes des séries d’anthologie à succès. Épisode après épisode, les choses changent et tournent autour d’un concept unique qui sert de fil rouge au spectateur. Ce genre mineur, tombé en désuétude face aux nombreuses sagas avec pour exemple récent Game of Thrones présente pourtant de nombreux avantages, et pour tout le monde.
Plus besoin pour les scénaristes d’étaler le reste de confiture sur une tartine trop grande au point d’en perdre le goût. Plus besoin pour le spectateur de se lancer dans un marathon de deux semaines pour rattraper ses collègues qui ne font que parler du dernier épisode au bureau. Plus besoin pour les producteurs de se cantonner aux acteurs low cost, les seuls ayant un agenda disponible. L’anthologie offre une plus grande marge de manœuvre donc, mais soumet également de nouvelles contraintes.
Devoir se renouveler constamment est un exercice intéressant, mais risqué sur la durée. L’audience est capricieuse et la décevoir, même pour un ou deux épisodes, peut signer la mort d’une série. C’est pourquoi le format impose un contrôle extrême des détails, avec une identité très forte pour apporter encore plus de contrastes aux choix scénaristiques.
En réponse ont récemment fleuri des formats un peu bâtards. Entre une histoire en 100 épisodes et une nouvelle de 20 minutes, certains ont choisi de développer leur récit sur une saison entière mais courte : 8, 10 ou 12 épisodes comme True Detective, Fargo ou American Horror Story. Ainsi l’univers est plus facile à définir, l’ambiance plus confortable à poser. C’est logique lorsque l’on y pense. Les séries sont commandées par saison, c’est un peu l’unité de base, la taille de l’histoire demandée. Plutôt que de la laisser en suspens pour une éventuelle nouvelle saison, il est plus cohérent de la formater dès le début pour une durée déterminée. Libre ensuite aux chaînes d’en commander d’autres.
Pourquoi Fargo en particulier a su devenir une bonne série d’anthologie ? Comment réussit-elle à conserver son public ? La réponse serait, par la cohérence de son univers. L’ambiance respectée saison après saison permet au spectateur d’y croire. L’identité des lieux est très forte, les décors très spécifiques avec ces petites villes du Minnesota complètement enfouies sous la neige. Nous sommes perdus au milieu de nulle part, mais toujours au même endroit. Le sens obsessionnel du détail des frères Coen a été repris et maintenu tout au long de la série comme en témoigne Kim Todd, l’un des producteurs : « Dans une scène il peut y avoir deux acteurs et un cendrier. Mais vous n’oubliez pas le cendrier. »
Pourtant, les personnages visés par la caméra changent, ce qui pourrait perturber. Mais là encore il y a un sens, la saison 2 étant un préquel de la 1. Il est fait plusieurs fois référence à d’autres protagonistes, d’autres événements, d’autres temps, d’autres lieux. Exemple parfait : Lou Solverson de 2006 qui ressasse sans cesse l’incident de Sioux Falls survenu en 1979. C’est bien Lou Solverson, de 1979, que nous retrouvons dans la seconde saison et qui semble nous guider vers les événements relatés dans la première saison. Le lien est donc solide, prouvant qui plus est que manipuler la temporalité dans l’anthologie est possible.
Fargo et Fargo, film et série, des “histoires vraies” bourrées d’humour noir où l’on ne comprend pas bien ce qu’il se passe, ni ce que l’on essaie de nous montrer, mais qui sont un délice à regarder. Un fabuleux travail de Noah Hawley avec sa série d’anthologie à l’univers estampillé Coen qu’il a su continuer sans jamais chercher à le copier. Peu importe l’époque, peu importe les personnages, l’ombre de Fargo continuera de planer sur le Minnesota.
Par Gabriel Pilet, le
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