L’ADN bactérien recèle des trésors d’information oubliés, capables d’inspirer la médecine de demain. C’est la conviction d’Eloi Littner, doctorant en génétique à l’Institut Pasteur, qui étudie les « intégrons », véritables bibliothèques génétiques internes aux bactéries. Leur exploration pourrait transformer notre rapport à la génétique et aux traitements médicaux.

L’ADN des bactéries abrite des gènes de résistance actifs et dormants
Contrairement aux virus, les bactéries sont des organismes unicellulaires autonomes, capables de se multiplier et d’évoluer de manière indépendante. Elles vivent et survivent dans des environnements extrêmement hostiles, en développant des stratégies de défense sophistiquées, souvent méconnues.
Eloi Littner tente de comprendre pourquoi certaines bactéries résistent aux mêmes antibiotiques, alors qu’elles proviennent de milieux très différents. Leurs points communs se nichent dans des portions bien précises de leur ADN : les intégrons. Ces structures génétiques jouent un rôle central dans l’adaptation bactérienne.
L’étude de ces structures permet de mieux anticiper la façon dont les bactéries pourraient s’adapter à de nouveaux traitements. Ainsi, en analysant les éléments communs chez plusieurs souches résistantes, les chercheurs peuvent prédire certains comportements face aux thérapies actuelles.
Les intégrons stockent des fonctions anciennes prêtes à être réactivées
Les intégrons sont des zones de stockage où les bactéries empilent des fonctions génétiques prêtes à l’emploi. Certaines leur servent en permanence pour leur survie de base, tandis que d’autres restent en sommeil jusqu’à ce qu’un événement déclenche leur activation. Ces gènes dormants peuvent ressurgir face à une menace, comme un nouvel antibiotique ou un environnement toxique.
En analysant ces intégrons, les chercheurs ont identifié 16 nouveaux systèmes de défense bactérienne, encore jamais documentés. Ces fonctions anciennes racontent une évolution de milliards d’années et révèlent à quel point les bactéries sont résilientes. Cette capacité de résistance génétique montre que les bactéries ont su traverser d’innombrables crises évolutives.
Par ailleurs, certaines de ces fonctions stockées ne sont pas uniquement défensives. Elles peuvent également servir à modifier le métabolisme, produire des substances antimicrobiennes ou encore interagir avec d’autres micro-organismes de manière stratégique.
Ces fonctions bactériennes pourraient inspirer les traitements du futur
Les gènes découverts ne sont pas seulement des curiosités biologiques. Ils peuvent servir de base à des traitements de demain, notamment contre les maladies génétiques, certaines infections multirésistantes, ou encore des formes rares de cancer.
Par exemple, de nombreux antibiotiques actuels sont inspirés de ces mécanismes naturels : la pénicilline, issue d’une moisissure, a ouvert la voie à la médecine moderne. Mais ce n’est qu’un début. D’autres molécules inspirées du microbiote naturel pourraient s’avérer tout aussi puissantes.
Selon Eloi Littner, l’industrie pharmaceutique pourrait s’inspirer davantage de ces stratégies microbiennes pour créer des traitements plus ciblés, moins toxiques et surtout plus efficaces face à la montée des résistances. Le séquençage de l’ADN bactérien offre un réservoir d’innovations à exploiter.
Les bactéries ne sont pas nos ennemies, mais des alliées à redécouvrir
Longtemps perçues comme de simples agents pathogènes, les bactéries s’avèrent être des alliées insoupçonnées dans la compréhension du vivant. Elles disposent d’une mémoire génétique ancienne, où se cachent des solutions à nos problèmes de santé modernes.
En explorant leur ADN, les chercheurs ne découvrent pas seulement des outils de survie bactériens. Ils ouvrent aussi une fenêtre sur l’évolution du vivant et les promesses de la biotechnologie du futur.
Ces découvertes pourraient également avoir un impact sur les domaines de l’agriculture, de la bioremédiation ou encore de la synthèse biologique. En reprogrammant certains gènes ou en exploitant leur logique, il serait envisageable de créer des bactéries « intelligentes » capables de produire des médicaments, nettoyer des polluants ou encore protéger les cultures.
Redécouvrir les bactéries, c’est donc repenser notre lien avec le vivant. Et peut-être, comme le dit Eloi Littner, « réaliser que ce que l’on croyait nuisible depuis des siècles est en réalité l’un des meilleurs outils pour soigner notre avenir ».
Par Eric Rafidiarimanana, le
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