45 ans et toujours aussi actuel…
Le match opposant Billie Jean King et Bobby Riggs a beau s’être déroulé il y a plusieurs décennies, les inégalités qu’il pointait du doigt ont toujours cours dans le monde du sport. Étiqueté feel good movie à la Hidden Figures, Battle of the Sexes s’empare de deux sujets encore brûlants en 2017 : la différence salariale – qui dépasse de loin le domaine du sport – et la politique du Don’t Ask Don’t Tell encore en vigueur dans le milieu sportif, toutes disciplines confondues. L’origine même de cette rencontre inédite entre un ancien joueur de tennis de 55 ans et la première joueuse mondiale de 29 provient des inégalités salariales. Le patron des « Open tournaments » Jack Kramer (Bill Pullman) refuse de payer King le même montant que les hommes : elle devra se contenter de 8 fois moins. Un écart de salaire qui n’a – heureusement – plus court dans le tennis professionnel, mais qui perdure dans de nombreuses autres disciplines, et notamment les sports collectifs – football, basket, etc… Une réalité d’autant plus dramatique qu’elle dépasse le simple cadre sportif et touche toutes les professions.
Billie Jean, l’autre King des droits civiques
Le film s’ouvre sur le refus obstiné de Kramer d’accorder à la gagnante du circuit féminin le même montant que le gagnant masculin. Billie Jean King n’étant pas femme à se contenter d’un « Ils sont plus captivants à regarder jouer. C’est biologique… », elle va alors créer son propre tournoi, épaulée de plusieurs joueuses professionnelles elles aussi excédées de ce machisme exacerbé d’un autre temps. Coqueluche des médias de par son impressionnant palmarès sportif et ses prises de position audacieuses envers un patriarcat encore tout puissant dans les années 70, Billie Jean King s’est battue pour que les femmes puissent jouir des mêmes droits que les hommes, et notamment l’égalité salariale. Si le match avec Bobby Riggs n’a pas marqué un tournant décisif dans la lutte pour l’émancipation des femmes, il aura au moins eu le mérite de démonter tous ces sempiternels clichés sexistes sur les soi-disant supériorités physique et psychologique des hommes sur les femmes.
Les tenniswomen actuelles doivent beaucoup à Billie Jean King et aux autres joueuses de la WTA (Women’s Tennis Association) qui ont depuis longtemps égalé, si ce n’est surpassé, leurs homologues masculins rangés sous la bannière de l’ATP World Tour (Association of Tennis Professionnals). Hormis John McEnroe, personne ne s’amuserait à dire qu’une femme serait incapable de faire sa place dans le Top 10 – et surtout pas Serena Williams détentrice de 23 titres de Grands Chelems… Mais Billie Jean King se démarque de toutes ses autres collègues parce qu’elle a fait l’impensable : elle est devenue la première sportive à publiquement faire son coming out. Elle a entretenu une liaison avec son assistante Marilyn Barnett alors qu’elle était encore mariée à l’avocat Larry King. La peur d’être découverte – comme s’il s’agissait d’un crime – l’a contrainte à vivre son idylle dans l’ombre, le cachant non seulement à son mari, mais à l’ensemble du circuit sportif. Presque 50 ans plus tard, rien n’a changé : les sportifs et sportives sont encore exhortées à cacher leur sexualité…
Face à l’élégante et combattive Billie Jean King, 29 ans et première joueuse mondiale, nous avons… Bobby Riggs, 55 ans. Une ancienne gloire du tennis masculin, parieur patenté, et misogyne ventripotent. Tout un programme ! Magistralement incarné par un Steve Carrell en très grande forme, Bobby Riggs est un clown triste qui n’a jamais accepté que les projecteurs soient dirigés vers d’autres joueurs – et joueuses. En pleine crise conjugale avec son épouse, empêtré dans ses problèmes d’addiction au jeu, il va provoquer Billie Jean King à coup de sentences misogynes et sexistes toutes plus hallucinantes les unes que les autres : « Bien sûr que les femmes ont leur place sur le court. Sinon, qui ramasserait les balles ? » Son voeu le plus cher est de revenir sur le devant de la scène, retrouver ce frisson d’exaltation qui s’empare du public lorsqu’un approche d’une balle de Set, les suées d’angoisse lorsque se profile la balle de match… Autant d’émotions qu’il s’est juré de revivre, quitte à passer pour un goujat lourdaud et pathétique en proposant 100 000 dollars à la joueuse qui oserait le défier. Tous les coups sont permis !
Alors que Kramer est convaincu que les femmes sont naturellement inférieures aux hommes, Bobby Riggs est un bouffon, un porte-étendard de pacotille. Nous comprenons bien vite que cette surenchère de remarques sexistes et méprisantes à l’égard du « sexe faible » sont plus marketing que politiques… Riggs a besoin de vendre le match l’opposant à Billie Jean King comme étant LE match du siècle, LA guerre des sexes, persuadé de remporter la victoire face à une Billie Jean King plus jeune que lui de 26 ans. Les propos outranciers qu’il a maintes et maintes fois tenus à l’encontre de sa rivale ne se résumaient qu’à de la com’ – « Bad publicity is good publicity », vous vous rappelez ? Bobby Riggs a beau être un has-been facétieux et un lourdaud attachant, il a tout de même réussi à rameuter près de 90 millions de téléspectateurs à travers le monde ! Cet homme à la bedaine apparente et aux sourires condescendants n’est pas aussi ignoble qu’il veut bien nous le faire croire : tous ces excès relèvent de l’acting. D’ailleurs, l’animosité entre les deux légendes n’a pas duré, à tel point que Billie Jean King s’est rendue au chevet de Bobby Riggs alors qu’il s’apprêtait à rendre son dernier souffle. Le tout premier match de tennis mixte de l’histoire du sport n’a pas marqué l’Histoire avec un grand H, mais il a permis de faire voler en éclat cette croyance populaire qui voulait que les hommes étaient supérieurs en tout. Les femmes sont définitivement les égales des hommes, lorsqu’elles ne leur sont pas supérieures – et ça, on aime !
Par Matthieu Garcia, le
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