La Haute Cour d’Australie, soit la plus haute juridiction australienne, a ce mardi pris une décision historique : les Aborigènes australiens ne seront désormais plus concernés par les lois d’immigration et d’expulsion de l’Australie. En effet, jusqu’à présent, les Aborigènes étaient soumis aux mêmes lois que les autres résidents d’Australie non-citoyens, à savoir qu’ils pouvaient se faire expulser du territoire en cas de crime. Cela nous paraît bien ironique dans la mesure où les Aborigènes sont à l’origine du peuplement de l’Australie et ont longtemps été victimes des colons.
LES CAS DE BRENDAN THOMS ET DANIEL LOVE
Désormais, l’Australie ne pourra donc plus expulser des Aborigènes, même s’ils sont nés en dehors du territoire (comme en Nouvelle-Zélande par exemple) et non-citoyens. Elle a récemment tenté d’expulser deux hommes : un citoyen de Papouasie-Nouvelle-Guinée nommé Daniel Love et un Néo-Zélandais, Brendan Thoms, en se basant sur les lois qui permettent l’annulation du visa pour des criminels condamnés non-citoyens de l’Australie. Pourtant, ces deux hommes étaient identifiés comme Aborigènes australiens, et vivent en Australie depuis leur enfance.
Daniel Love avait été condamné pour agression et Brendan Thoms est emprisonné pour violences familiales. Ils se sont donc adressés à la justice et lui ont demandé de maintenir leur visa. En effet, bien qu’ils ne soient pas de vrais citoyens de l’Australie, ils n’en sont pas non plus étrangers. Quatre juges sur les sept de la Haute Cour ont donc considéré que ces deux hommes n’étaient pas concernés par cette législation. La Haute Cour a statué que les peuples autochtones ayant un lien suffisant avec les sociétés traditionnelles ne pouvaient pas être des étrangers. Rappelons que les Aborigènes, ou Australiens autochtones, sont à l’origine du peuplement de l’Australie : ils peuplent le continent depuis 60 000 ans.
CE QUE LE TRIBUNAL A DÉTERMINÉ
Brendan Thoms a été remis en liberté après ce jugement. Mardi après-midi, le ministre de l’Immigration par intérim, Alan Tudge, a déclaré que le gouvernement revoyait toujours la décision mais « à la lumière de la décision de la cour, M. [Brendan] Thoms a été libéré ce matin de la détention de l’immigration« . Ce dernier a été reconnu comme aborigène, au contraire de Daniel Love, pour qui le tribunal estime qu’une nouvelle audition est nécéssaire afin de déterminer s’il est accepté comme un véritable membre de la tribu Kamilaroi, auquel cas il sera indubitablement aborigène. En effet, l’examen de son ascendance biologique n’a pas été concluant.
Claire Gibbs, l’avocate de Love et Thoms, s’est exprimée à ce sujet. Elle a déclaré que ce genre de décision était importante “pour les Australiens autochtones, peu importe où ils sont nés”. Elle a fait valoir, avec d’autres avocats, que le gouvernement australien ne pouvait pas expulser les Aborigènes ou les insulaires du détroit de Torrès même s’ils ne détenaient pas la citoyenneté australienne. Expulsés injustement, ces deux hommes vont donc demander des dommages et intérêts, selon Claire Gibbs.
UN NOUVEAU STATUT JURIDIQUE
Cette affaire représente à la fois une défaite majeure pour les bureaux d’expulsion du ministère des Affaires internes de Peter Dutton et à la fois une reconnaissance significative des droits des Aborigènes. Désormais, grâce à cette décision de la Haute Cour, on confère aux Aborigènes un statut spécial en droit constitutionnel australien : c’est un statut entre l’étranger et le citoyen, et qui doit allégeance à la Couronne. Ce changement est susceptible d’avoir des ramifications bien au-delà de la loi actuelle sur le titre indigène. Tudge a déclaré : « A première vue, [la décision avait] créé une nouvelle catégorie de personnes ; ni un citoyen australien en vertu de l’Australian Citizenship Act, ni un non-citoyen. Le ministère des Affaires intérieures examinera les meilleures méthodes pour examiner les autres cas susceptibles d’être touchés. »
Le fait de classer un Australien autochtone comme étranger reviendrait à « déchirer l’ensemble organique de la société, ce qui aurait été l’antithèse même de la reconnaissance par le droit commun des lois et coutumes de cette société comme fondement des droits et intérêts garantis par loi australienne », a-t-il dit. D’un autre côté, cette décision n’a pas satisfait tout le monde puisque dans des jugements distincts, la juge Susan Kiefel et les juges Stephen Gageler et Patrick Keane n’étaient pas d’accord avec la conclusion selon laquelle les Autochtones australiens ne pouvaient être des étrangers. Elle a laissé entendre que la majorité avait reconnu un nouveau droit immuable à certains non-citoyens, ce qui « ne pouvait pas être considéré comme une amélioration de la loi« .
La majorité du tribunal a ordonné au Commonwealth de prendre en charge les frais de tribunaux des plaignants.
Par Jeanne Gosselin, le
Source: The Guardian
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