Une bascule climatique majeure est en cours au pôle Sud : la banquise fond, les courants océaniques ralentissent et la vie antarctique vacille. Mais tout n’est pas perdu. Comprendre ces changements, c’est déjà commencer à agir.

Une banquise en chute libre : le signe d’un tournant climatique
C’est un peu comme si l’Antarctique avait changé de visage en une décennie. La banquise antarctique, cette immense surface de glace flottante qui entoure le continent, a chuté à des niveaux jamais vus. En juillet 2023, elle affichait plus de 7 écarts-types sous la moyenne climatologique. Autrement dit, un effondrement statistiquement extrême, quasiment inconcevable sur trois siècles d’observations.
Contrairement à l’Arctique, où la fonte est bien documentée depuis longtemps, l’Antarctique semblait plus stable… jusqu’à présent. Les chercheurs parlent désormais d’un changement de régime climatique. Et selon les modélisations, même si l’on stabilisait le climat, la banquise pourrait continuer à se réduire. En clair : une dynamique d’auto-entraînement est lancée.
Des courants vitaux qui ralentissent dangereusement
Sous la surface, un autre bouleversement majeur se joue. La circulation océanique antarctique, un immense réseau de courants profonds qui redistribuent chaleur, carbone et nutriments à l’échelle planétaire, ralentit déjà de 30 % dans certaines zones depuis les années 1990.
Imaginez un cœur qui bat plus lentement : tout l’organisme en souffre. Ici, c’est la planète entière. Ce ralentissement affecte la régulation du climat mondial, le stockage du carbone et les cycles biologiques marins. Les scientifiques redoutent qu’à ce rythme, les courants de retournement antarctiques puissent s’effondrer, déclenchant une cascade de déséquilibres dans les océans du globe.
Des écosystèmes sous pression : le cri silencieux des manchots
Sur la banquise et dans l’océan Austral, la vie chancelle. Depuis 2016, près de 30 colonies de manchots empereurs sur 60 ont subi des échecs de reproduction à cause de la fonte précoce de la glace côtière. Ces oiseaux emblématiques dépendent de la banquise pour élever leurs petits : sans glace, pas de refuge.
Sous l’eau, le tableau n’est pas plus réjouissant. Le phytoplancton, base de toute la chaîne alimentaire, a chuté de 18 % en 26 ans. Moins de plancton, c’est moins de krill, donc moins de nourriture pour les poissons, les phoques, les baleines… et moins de carbone absorbé par les océans. Un cercle vicieux s’installe, rendant les écosystèmes antarctiques plus fragiles que jamais.
Limiter les dégâts, s’adapter : notre responsabilité planétaire
Alors, que faire ? L’étude publiée dans Nature par une équipe internationale, avec le soutien du LOCEAN (Laboratoire d’océanographie et du climat), est claire : réduire massivement les émissions de CO₂ dès cette décennie. Il ne s’agit plus d’une option, mais d’une nécessité. Même avec des efforts drastiques, certains changements sont désormais inévitables.
Mais tout n’est pas perdu. En intégrant les effets des changements antarctiques dans nos stratégies d’adaptation, en protégeant les écosystèmes marins, et en soutenant la recherche, nous pouvons encore ralentir la bascule. Le futur n’est pas écrit : il dépend de ce que nous faisons aujourd’hui.
Par Eric Rafidiarimanana, le