Après presque trente ans de carrière et vingt mangas à son actif, la mangaka Kaori Yuki est surtout reconnue pour son travail sur Angel Sanctuary. Publié en tant que shojo, le récit nous raconte l’histoire d’un amour incestueux mêlé à un voyage dantesque dans lequel le héros devra parcourir l’Enfer et le Paradis. Retour sur un manga pas comme les autres à l’histoire et au style original !
Même si un auteur est prolifique et semble pouvoir créer sans limites, il y a parfois un projet qui lui tient à coeur pendant des années sans qu’il puisse le matérialiser. Faute de temps et d’autres projets en cours, tel fut le cas pour Angel Sanctuary qui fut le manga que Kaori Yuki avait toujours voulu écrire. Elle avait déjà en tête une vague histoire d’anges et de démons qui se déroulerait à Tokyo. En étudiant la hiérarchie angélique de la mythologie chrétienne, elle décida de pousser la chose un peu plus loin et commença à créer plusieurs personnages, en commençant par Sara, l’héroïne. Cet univers angélique est quelque chose qui lui tient à coeur, en particulier la chute des anges et le mythe de Lucifer.
Angel Sanctuary est d’abord présenté comme un shojo, mais va peu à peu gagner en popularité auprès des lecteurs masculins grâce à son imagerie mature et ses thèmes complexes. La publication commença en 1995 pour prendre fin en 2001, résultant en vingt tomes auxquels s’ajoute l’OAV. Alors, de quoi s’agit-il ? Kaori Yuki nous raconte que dans des temps immémoriaux, plusieurs guerres confrontant l’Enfer au Paradis firent ragent dans le ciel. Cette odieuse rébellion contre Dieu lui-même était menée par l’ange Alexiel. Déchu pour ses crimes, son enveloppe charnelle fut emprisonnée dans un lieu tenu secret du Paradis.
Deux démons, Kouraï et Arachné parviennent à s’infiltrer jusqu’à sa prison pour le libérer, mais constatent que l’âme d’Alexiel n’est plus là. Si elle n’est pas en Enfer et pas au Paradis, elle pourrait se trouver… vous l’avez deviné, sur Terre. Enfin, sur Asshiah comme l’appellent les anges et les démons. C’est à Tokyo en 1999 que les démons retrouvent l’âme d’Alexiel, réincarné dans un jeune lycéen : Setsuna Mudo. D’origine anglaise et mauvais garçon, il essaye tant bien que mal de gérer ses sentiments interdits. Setsuna est éperdument amoureux de sa soeur Sara. Sous les traits de Kaori Yuki, leur amour ne parait pourtant pas choquant, car il est sincère et tous les éléments de leur relation sont abordés.
Malheureusement, Setsuna n’est pas la seule réincarnation angélique sur Terre. Dans le corps Ruri, la meilleure amie de Sara, sommeille Rochel, le frère jumeau d’Alexiel. En somme, Setsuna, un garçon, a l’âme d’un ange féminin et Ruri, qui est une fille, a l’âme d’un ange masculin. C’est l’occasion pour Kaori Yuki de mettre un peu de lumière sur ceux qui ne se sentent pas eux-mêmes dans le corps qu’ils ont eu à la naissance. Bien entendu, Rochel est loin d’être heureux de voir sa soeur jumelle, ou du moins sa réincarnation, se lier avec une mortelle. Il décide d’envoyer l’ange Kirieh en mission pour tuer Sara. Lorsque cette dernière meurt, Setsuna devient fou de rage et le pouvoir d’Alexiel s’éveille, détruisant Tokyo.
En découvrant le monde des anges et des démons, Setsuna n’a qu’une idée en tête : retrouver sa soeur, quel qu’en soit le prix. Les idées qu’il peut initialement se faire de ces deux mondes seront vite délaissées alors qu’il arpente un Enfer en désordre que Lucifer n’entretient pas et un Paradis plus cruel que l’Enfer, également abandonné par Dieu il y a bien longtemps. Alors que Sara sera réincarnée dans le corps de l’archange Jibriel, Setsuna en tant qu’Alexiel va recevoir l’aide de Lucifer qui est désespérément amoureux d’elle depuis des siècles. Une quête dantesque qui vous captivera pour son originalité et vous hantera de par la richesse des personnages.
Et quand on dit dantesque, ce n’est pas pour rien. La quête de Setsuna est explicitement inspirée de La Divine Comédie de Dante. Dans l’oeuvre du poète italien, il est guidé par Virgile à travers l’Enfer, le Purgatoire afin de rejoindre au Paradis son amoureuse Béatrice qui souhaite lui présenter une autre perspective sur la vie et Dieu. Dans Angel Sanctuary, Setsuna fera aussi son voyage à travers le Royaume des morts jusqu’à aller au paradis. Il y a en revanche aucune propagande religieuse là-dedans et l’iconographie chrétienne est seulement là comme décor ou pour permettre à l’auteur d’aborder des thèmes profonds.
Pour se séparer de la tradition religieuse, Kaori Yuki change plusieurs éléments de la mythologie et l’intègre à son oeuvre. Elle fait même dire à l’un de ses personnages que le symbolisme chrétien et juif n’est ici pas totalement respecté. Un trait d’humour qui permet aussi de réinterpréter la mythologie en question. Dans une atmosphère romantique, elle s’inspire également de la mythologie grecque et nordique avec une analogie de la descente d’Orphée dans le Royaume des morts et une reprise du mythe d’Yggdrasil, l’Arbre du Monde des Scandinaves ainsi que le dragon Nidhogg qui ronge inlassablement ses racines et pourrait entrainer la fin du monde.
Le folklore et les légendes ne sont pas les seules influences de Kaori Yuki. Naturellement, la littérature a aussi sa place. Principalement avec des références assez directes à l’univers de Lewis Carroll dans Les Aventures d’Alice au pays des merveilles et De l’autre côté du miroir et plus succinctement aux contes des frères Grimm. Ce mélange d’influence sert à merveille le thème d’amour interdit et les batailles épiques qui parsèment le manga. Un choc des cultures qui convient parfaitement aux mondes des anges et des démons. Tout cela permet à Angel Sanctuary d’être à l’écart des autres shojo en proposant un univers capable de plaire à tous.
Avec l’amour interdit comme thème principal, Angel Sanctuary parle plus largement du rôle de l’amour dans nos vies, mais aussi de la nature humaine qui cristallise l’éternelle bataille entre le bien et le mal. Malgré la culpabilité, le regard des autres et le jugement céleste, Setsuna et Sara vivent l’une des histoires d’amour les plus fortes et mémorables que l’on puisse trouver dans un manga. Avez-vous envie de faire la lecture d’Angel Sanctuary ou connaissiez-vous déjà l’oeuvre ?
Par Florent, le