L’intelligence artificielle impressionne par ses prouesses, mais qui nourrit vraiment ses progrès ? Sous les algorithmes qui fascinent le monde entier, des milliers de travailleurs précaires œuvrent dans l’ombre. Leur contribution est essentielle, mais rarement reconnue. Voici pourquoi cette réalité, longtemps ignorée, mérite aujourd’hui toute notre attention.

Une croissance économique spectaculaire tirée par l’IA, mais fondée sur l’exploitation invisible d’une main-d’œuvre précaire
L’IA se retrouve partout : dans nos téléphones, nos recherches, nos voitures, nos jouets… et désormais dans les chiffres de l’économie mondiale. Rien qu’en 2025, elle aurait généré 92 % de la croissance du PIB américain. Un exploit, oui, mais aussi un trompe-l’œil. Car derrière ces résultats, les entreprises s’appuient sur un modèle social fragile, bâti sur une externalisation massive des tâches « invisibles ».
Des microtravailleurs, souvent recrutés via des plateformes comme Remotasks ou Appen, accomplissent un travail fondamental : ils étiquettent, trient, valident les données pour nourrir les intelligences artificielles. Pourtant, leur statut reste précaire. Ils ne bénéficient ni de contrats stables, ni de protection sociale digne de ce nom, et leurs revenus varient sans cesse. L’innovation avance, eux stagnent.
Sous les paillettes de la tech, des vagues de licenciements silencieux frappent les rouages humains de l’IA
On pourrait croire que cette croissance entraîne un boom de l’emploi. En réalité, les grandes entreprises technologiques multiplient les licenciements. Amazon, par exemple, a supprimé 14 000 postes récemment, malgré des résultats financiers solides. Un paradoxe ? Pas vraiment.
Les entreprises de la tech favorisent désormais des modèles ultra-flexibles : elles confient les tâches à des prestataires, écourtent les missions, accélèrent la rotation des effectifs. Elles remplacent des milliers de contributeurs à l’IA du jour au lendemain, sans justification, ni accompagnement. Cette instabilité permanente s’impose comme une norme, au détriment de ceux qui assurent les fondations du système.
L’affaire Mercor : comment un partenaire de Meta et OpenAI a sacrifié 5 000 travailleurs sans préavis pour réduire les coûts
L’entreprise Mercor incarne tristement cette logique. En collaborant avec Meta et OpenAI, elle avait lancé un projet baptisé Musen, qui mobilisait plus de 5 000 travailleurs. Les responsables avaient promis une mission longue. Quelques semaines plus tard, ils ont mis fin au programme sans explication.
Ils ont ensuite relancé un projet quasi identique, baptisé Nova, avec les mêmes tâches, mais cinq dollars de moins par heure. Pour les travailleurs concernés, la surprise a laissé place à la colère. Leur travail n’a pas changé, seule la rémunération a baissé. Ce type de stratégie se répand : les plateformes testent, remplacent, ajustent à la baisse comme s’il s’agissait d’un simple paramètre technique.
Derrière les promesses utopiques des dirigeants de la tech, une réalité de plus en plus instable pour les travailleurs de l’ombre
Pendant ce temps, les grands patrons de la tech continuent de vanter une IA qui rendra la vie meilleure. Satya Nadella parle de « collaboration harmonieuse entre humains et machines ». Sam Altman rêve d’un futur « spectaculaire mais risqué ». Mais ces promesses sonnent creux pour ceux qui vivent l’instabilité au quotidien.
En 2025, des humains – souvent mal payés – forment encore l’IA. Sans eux, pas de ChatGPT, pas de voitures autonomes, pas de reconnaissance faciale. Le progrès s’appuie sur leurs épaules, mais tant que personne ne reconnaît leur statut, toute la chaîne risque de s’effondrer. L’IA est censée libérer du temps ? Pour eux, elle n’a fait qu’enchaîner davantage.
Ce fossé entre discours et réalité creuse une forme de méfiance généralisée. Dans les forums, les témoignages se multiplient, pointant une pression accrue, des exigences floues, et des changements brutaux de conditions. Beaucoup oscillent entre résignation et colère, conscients de bâtir l’avenir… sans jamais y être pleinement associés.
Par Gabrielle Andriamanjatoson, le
Source: Science & Vie
Étiquettes: intelligence artificielle, main-doeuvre
Catégories: Technologie, Actualités, Société