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Les féminicides, un fléau qui s’est imposé dans notre société

On ne le rappelle jamais assez, mais une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint

C’est un phénomène qui s’est invité dans le débat public depuis quelques années : le féminicide est un véritable fait de société, qu’on a refusé de voir pendant des siècles, et qu’on commence tout juste à réaliser. Longtemps, le sujet a été traité sous l’angle du « crime passionnel », ou « crime d’amour ». Or, il s’agit ni plus ni moins que d’un « crime de propriété », que des sociétés patriarcales ont longtemps refusé de voir. Aujourd’hui encore, les failles de la justice et la difficulté à définir un féminicide empêchent de mettre fin à ce fléau.

Un terme qui fait difficilement son entrée dans la langue française

Le terme « féminicide » en lui-même est extrêmement difficile à appréhender. Comme le rappelle Madmoizelle, le terme est la contraction entre female, féminin, et homicide, meurtre. C’est le livre Femicide : The Politics of Woman Killing, publié en 1992 par Jill Radford et Diana Russell, deux féministes, qui a commencé à l’employer. En France, bien qu’il soit apparu dès 1855, ce n’est qu’en 2015 qu’il a été pour la première fois admis dans Le Petit Robert, un dictionnaire. Quant au Larousse, ce n’est que dans l’édition 2021 qu’il lui a accordé une place.

Les associations féministes et les familles des victimes souhaitent que le terme soit inscrit dans le Code pénal. Le 19 juillet 2019, juste avant le Grenelle des violences conjugales qui s’est tenu en septembre de la même année et a apporté certaines mesures concrètes (moyens financiers, protection accrue des victimes de violences conjugales, suivi des auteurs…), des familles de victimes signaient une tribune sur FranceInfo réclamant, entre autres, l’inscription du terme « féminicide » dans le Code pénal comme « crime machiste et systémique » : reconnaitre que « ces femmes sont tuées parce qu’elles sont des femmes par des hommes qui pensent avoir un droit de vie ou de mort sur elles ». Marlène Schiappa, secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes, n’est pas opposée à l’idée, même si elle n’a pas été retenue par le Grenelle.

Toutefois, les magistrats sont plutôt sceptiques vis-à-vis de cette possibilité. Selon eux, l’article 221-4 du Code pénal prévoit déjà la réclusion criminelle à perpétuité si le meurtre, déjà passible de 30 ans de réclusion, est commis par un conjoint ou ex-conjoint. De plus, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a, en 2016, affirmé qu’introduire le terme dans le Code pénal risquerait « de porter atteinte à l’universalisme du droit et pourrait méconnaître le principe d’égalité de tous devant la loi pénale, dès lors qu’elle ne viserait que l’identité féminine de la victime« . Ainsi, selon la Commission, le terme « féminicide » pourrait être une atteinte à la Constitution. Enfin, le dernier argument contre son introduction est la difficulté à prouver un féminicide.

— Giacomo M / Shutterstock.com

Les failles de la justice en grande partie responsables de cette « épidémie » de féminicides

Dans les féminicides, on se rend compte que la justice est en partie responsable de ces cas. En 2019, un rapport de l’Inspection générale de la justice (IGJ) pointait du doigt les manquements en matière de prévention. Elle avait été saisie en juin de cette même année par la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, et avait rouvert tous les dossiers de féminicides survenus en 2915 et 2016. La réponse est sans appel : oui, tous ces drames auraient pu être évités. À l’époque, la ministre de la Justice elle-même l’avait reconnu : « La chaîne pénale n’est pas satisfaisante. »

— Birdog Vasile-Radu / Shutterstock.com

Si le volet est purement judiciaire, l’IGJ reconnait que le traitement et les sanctions sont satisfaisants, mais le gros du problème se situe dans la prévention. Beaucoup de policiers et gendarmes, au moment du recueil des plaintes, ont du mal à évaluer la dangerosité et l’ampleur de la plainte. « Je suis consciente de la difficulté pour les personnes qui recueillent les plaintes de mesurer la réalité et l’ampleur du danger. C’est pour ça qu’elles doivent être formées », affirme Nicole Belloubet. Entre 2015 et 2016, 35 % des femmes victimes de féminicide n’avaient pas osé porter plainte. Pourtant, la majorité avait tenté de parler, mais seules 21 femmes ont obtenu un dépôt de plainte, et seuls 18 % d’entre eux ont débouché sur une enquête, 80 % des plaintes étant classées sans suite.

Dans un documentaire sur France 2, début juin 2020, on en apprend plus sur ces failles de la justice en matière de violences conjugales et de féminicides. Selon l’IGJ, 41 % des victimes avaient signalé des violences aux forces de l’ordre. Dans ce documentaire, on découvre l’histoire d’Hélène Bizieux, dont le corps a été retrouvé calciné dans sa maison en feu en 2018. La maison a été brûlée par son ex-conjoint, qu’elle venait de quitter. Il l’a tuée plusieurs mois après leur séparation. Les proches d’Hélène n’en démordent pas : l’État aurait dû la protéger. En effet, elle avait déposé 2 plaintes contre son conjoint violent, et rien n’a été fait. Or, il avait déjà été condamné pour homicide.

— JeanLucIchard / Shutterstock.com

Le féminicide, un « crime de propriété »

Comme l’explique Libération dans un article de juin 2020, le féminicide n’est rien d’autre qu’un « crime de propriété ». En d’autres termes, c’est la violence exercée par un homme qui croit détenir tout pouvoir, être propriétaire de sa femme. Ce que l’on constate, c’est que les féminicides ont très souvent lieu quand la femme quitte ou cherche à quitter son conjoint, donc quand elle tente de « reprendre sa liberté ». Le passage à l’acte reflète donc la peur et la rage d’un homme qui voit ce qu’il considère être comme « son objet » lui échapper. C’est ce qui est arrivée à Marie-Alice Dibon, 51e femme victime de féminicide en 2019. C’est ce que rapporte sa soeur, Hélène de Ponsay : « Elle a voulu le quitter, il n’a pas supporté. Plutôt que de laisser quelqu’un jouer avec son jouet, il a préféré le casser. »

Comme le décrit Marie-France Hirogoyen dans son livre Le Harcèlement moral : la violence perverse au quotidien, « les victimes sont habituellement choisies pour ce qu’elles ont de plus et que l’agresseur cherche à s’approprier. Elle n’a d’intérêt pour le pervers que lorsqu’elle est utilisable et qu’elle accepte la séduction. Elle devient un objet de haine dès qu’elle se dérobe ou qu’elle n’a plus rien à donner. » Le cas de Marie-Alice Dibon est à la fois emblématique et particulier, car, par exemple, elle lisait ce livre et l’avait recommandé à une amie. Elle était décrite comme féministe revendiquée, avec un bagage culturel extrêmement développé. Il est donc assez incompréhensible qu’elle n’ait pas vu qu’elle se trouvait dans une relation toxique, alors qu’elle était parfaitement capable de le voir pour les autres.

— JeanLucIchard / Shutterstock.com

Le féminicide n’est pas un phénomène nouveau. C’est sa perception qui change. Au Moyen Âge, le droit de batture, qui s’est transformé dans le Code civil de 1804 en « droit de correction » d’un mari sur sa femme, illustre cette situation dans laquelle un homme considère sa femme comme sa « chose ». Alors que, jusqu’à encore récemment, les violences conjugales étaient considérées comme relevant de la sphère privée, et les féminicides comme étant des « crimes d’amour », la société commence doucement à accepter que ce n’est pas le cas. Malheureusement, le chemin est encore long, et les féminicides, ou tentatives, continuent de se produire. Il est donc urgent de former les services de police, justice, et d’éduquer la société à ces problématiques, si on veut un jour en parler au passé.

Par Marine Guichard, le

Source: Le Monde

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