Un article du New York Sun fait sensation en 1844 en annonçant qu’une machine volante à réussi l’exploit de traverser l’Atlantique en seulement trois jours. Ce canular est l’œuvre d’Edgar Allan Poe, et Jules Verne va largement s’en inspirer pour ses ouvrages les plus célèbres.

UN VÉRITABLE EXPLOIT

Le 13 avril 1844, un article du New York Sun annonce l’impensable : l’Océan Atlantique a été traversé en trois jours, grâce à la machine volante d’un certain Thomas Monck Mason. Le ballon parti d’Angleterre devait à l’origine rallier Paris, mais des vents violents l’ont fait dévier de sa trajectoire et ce dernier s’est finalement posé près de la ville de Charleston en Caroline du Sud.

Edgar Allan Poe (1809-1849)

Le papier a été rédigé par un certain Edgar Allan Poe, qui vient d’arriver à New York. L’homme cherche du travail en tant que journaliste, et cette vaste plaisanterie va rapidement devenir sa « carte de visite », pour le meilleur et pour le pire.

Le premier vol en ballon a été réalisé par les frères Montgolfier en 1783. Deux ans plus tard, l’inventeur français Jean-Pierre Blanchard et l’américain John Jeffries ont réussi la première traversée de la Manche par les airs, et on évoque depuis le début du XIXe siècle la possibilité de traverser l’Atlantique en ballon.

Illustration représentant la première traversée de la Manche par les airs en 1785

UN SECOND CANULAR SCIENTIFIQUE

Ce n’est pas la première fois qu’un auteur piège le New York Sun. En 1835, Richard Adams Locke a fait parler de lui en publiant le récit d’un ballon dirigeable atteignant la Lune, qui s’inspirait largement de la nouvelle « Aventure sans pareille d’un certain Hans Pfaall », publiée deux mois plus tôt et écrite par un certain… Edgar Allan Poe.

Le succès de Locke a rendu Poe furieux, et celui-ci décide de se venger quelques mois plus tard en soumettant son propre canular au New York Sun. Le journal ne se doute pas une seule seconde qu’il s’agit d’un récit fictif, et le publie dans la foulée.

Selon l’article, le ballon « Victoria » transportait 8 personnes et a réalisé la traversée en seulement 75 heures. À l’époque, il faut environ deux semaines pour traverser l’Atlantique en bateau, et l’annonce de cette performance hors du commun déchaine les foules.

LE VICTORIA TRANSPORTAIT 8 PERSONNES ET A RÉALISÉ LA TRAVERSÉE EN SEULEMENT 75 HEURES

Poe déclarera plus tard qu’à la suite de l’annonce de l’improbable nouvelle « les abords de l’immeuble du Sun avaient été pris d’assaut », qu’il n’avait « jamais été témoin d’une excitation aussi intense », et que « les exemplaires du journal s’étaient littéralement arrachés ».

L’écrivain apporte de nombreuses précisions pour rendre son article crédible. Il évoque des mesures réalistes, décrit les différentes parties qui composent le ballon, le poids combiné des passagers, et va même jusqu’à utiliser le nom du célèbre aéronaute irlandais Thomas Monck Mason.

Les new-yorkais s’arrachent les exemplaires du journal, et d’autre quotidiens réputés reprennent l’article de Poe

Son récit fictif est repris le lendemain dans les colonnes du New York Sunday Times et du Baltimore Sun. D’autres journaux se montrent plus suspicieux et mettent en avant le fait qu’aucun quotidien de la ville de Charleston, près de laquelle le ballon est censé s’être posé, n’a confirmé l’incroyable exploit.

Deux jours après la publication du canular, le New York Sun se rétracte et déclare : « Les quotidiens du Sud n’ont pas confirmé l’arrivée du ballon depuis l’Angleterre… Ce qui nous pousse à croire que l’information était fausse », en précisant toutefois qu’il ne pense « nullement un tel projet impossible ». Il faudra finalement attendre 1978 pour assister au premier vol transatlantique en ballon.

Persuadé que son ingénieux canular démontrerait ses talents d’écrivain et sa maîtrise de la description scientifique, Poe n’imaginait pas une seconde que le fait de publier des informations fausses nuirait grandement à ses chances de faire carrière dans le journalisme, et c’est malheureusement ce qui s’est produit.

Son canular très documenté a cependant eu une forte influence sur les écrits les plus célèbres de Jules Verne. Paru en 1863, le premier roman à succès de l’écrivain français intitulé « Cinq semaines en ballon », lui a offert l’indépendance financière nécessaire pour travailler des ouvrages beaucoup plus ambitieux comme « Voyage au centre de la Terre » et « Le Tour du Monde en 80 jours », inspiré du canular de Poe, considérés aujourd’hui comme des classiques du roman d’aventure.

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