Selon un rapport publié par l’association Générations Futures, la majorité des pesticides retrouvés dans l’air sont particulièrement dangereux pour la santé et sont suspectés d’être des perturbateurs endocriniens ou cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques. De très faibles doses suffisent pour être empoisonné.

Un ensemble d’analyses pour éviter les biais

On le sait, les pesticides contaminent les fruits et légumes que nous mangeons, ainsi que l’eau que nous buvons. Mais savez-vous qu’ils contaminent également l’air que l’on respire ? Cela est d’autant plus perturbant que 75 % des Français utilisent annuellement des pesticides. Surtout que d’après le bilan dressé par l’association Générations Futures dans un rapport publié mardi 18 février, les pesticides sont suspectés d’être des perturbateurs endocriniens (PE), c’est-à-dire des molécules ou des agents chimiques causant des anomalies physiologiques et notamment reproductives, ou cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR).

L’ONG s’appuie sur les données contenues dans la base PhytAtmo, qui compile les résultats de quinze ans de mesures de pesticides dans l’air réalisées par l’ensemble des associations agréées de surveillance de la qualité de l’air, des Hauts-de-France à la Corse. Elle prend en compte 321 substances actives recherchées et 6 837 prélèvements effectués sur 176 sites. Générations Futures a tenté de classifier les résidus de produits phytopharmaceutiques identifiés dans l’air en fonction de leur dangerosité. Elle a ainsi évalué la proportion de pesticides suspectés d’être des perturbateurs endocriniens ou des CMR. Il faut savoir que ces deux catégories de polluants ont des effets toxiques sans seuil, c’est-à-dire même à très faible dose. En effet, les résidus de pesticides retrouvés dans l’air sont généralement mesurés à de faibles concentrations, de l’ordre du nanogramme par mètre cube.

Les données collectées dans la base PhytAtmo comprennent cependant plusieurs limites, puisque les associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (Aasqa) ne recherchent pas toutes les mêmes molécules, ni avec les mêmes techniques de détection, et reproduisent parfois les études à la même fréquence. Pour éviter les biais dans les informations, Générations Futures a réalisé deux analyses complémentaires. La première analyse prend en compte les plus récentes données, qui datent de l’année 2017, mais qui ne sont disponibles que dans un nombre de régions limité. La seconde analyse concerne l’ensemble du territoire, à l’exception de la région Bourgogne-Franche-Comté, mais certaines mesures peuvent être anciennes.

— luca pbl / Shutterstock.com

Des résultats inquiétants : présence dans l’air de substances extrêmement nocives

Il est ressorti de l’analyse de 2017 que, pour un total de 1 633 molécules identifiées et quantifiées, 52 substances actives différentes ont été retrouvées au moins une fois dans l’air des huit régions où ces mesures ont été effectuées. Parmi celles-ci, 61,53 % sont des PE et/ou 28,84 % sont des CMR. Pire encore, 28,84 %, soit près d’un tiers d’entre elles, sont des pesticides interdits en Europe.

Dans la seconde analyse, 104 substances actives différentes ont été retrouvées dans douze régions différentes. 33,65 % sont des pesticides classés CMR et 66,34 % sont des pesticides considérés comme des PE suspectés. Et encore une fois, 45,19 % d’entre elles, soit près de la moitié, sont des pesticides interdits au sein de l’Union européenne.

Parmi les pesticides les plus récurrents dans l’air, le journal Le Monde cite le chlorpyriphos, qui est utilisé massivement sur les cultures pour éliminer les pucerons ou les chenilles. L’Union européenne en a banni l’usage depuis le 31 janvier seulement, et ce malgré les très nombreuses études scientifiques démontrant ses effets toxiques sur le développement du cerveau des enfants. On retrouve également le lindane, un insecticide classé cancérogène pour l’homme par le Centre international de recherche sur le cancer et qui est interdit en agriculture depuis 1998. Comment cela se fait-il ? Tout simplement parce que certaines substances comme le lindane imprègnent les sols durablement et peuvent être relâchées dans l’air, notamment en période de sécheresse. Le pire est la présence du folpel, qui a été détecté à un niveau supérieur à 2 000 ng/m3 dans la région Grand-Est en 2004. Celui-ci, utilisé contre le mildiou, est classé CMR probable par l’Organisation mondiale de la santé. L’organisme de surveillance de la qualité de l’air en Nouvelle-Aquitaine a constaté que son usage était en augmentation en 2018 et en a même retrouvé des traces dans la ville de Bordeaux. Pour l’observatoire, il s’agit de la preuve d’un “transfert des molécules par l’air depuis les surfaces agricoles vers les zones urbaines”. 

Sortir de l’usage des pesticides, une urgence absolue

« L’air est une voie d’exposition réelle des populations à des pesticides dangereux pour la santé humaine. C’est particulièrement préoccupant pour les riverains des zones cultivées« , s’alarme François Veillerette, directeur de Générations Futures. L’association s’inquiète en particulier de la présence de substances actives “perturbateurs endocriniens” parmi les résidus de pesticides quantifiés dans l’air. « Car pour ces substances, c’est plus la période d’exposition qui fait le risque que le niveau d’exposition, explique Générations Futures. Et donc même des quantités faibles de pesticides PE dans l’air peuvent avoir potentiellement des effets néfastes si l’exposition a lieu à des périodes spécifiques de la vie. » C’est pourquoi l’association écologiste demande « la réduction rapide de l’utilisation des pesticides de synthèse en agriculture dans la perspective de leur suppression, l’accélération du retrait des molécules CMR et PE, l’instauration de zones tampon réellement protectrices et une information en temps réel des riverains sur les pesticides qui vont être épandus par les agriculteurs.« 

Un arrêté, publié fin décembre, instaure depuis le 1er janvier des zones de non-traitement aux pesticides aux abords des habitations en France. Cependant, les distances minimales entre les zones d’épandage de pesticides et les habitations sont fixées à trois mètres, cinq mètres, dix mètres, et très exceptionnellement vingt mètres. Des distances jugées très insuffisantes et bien loin des 100 mètres demandés par Générations Futures. En attendant, Générations Futures et d’autres organisations s’apprêtent à déposer le 25 février un nouveau recours devant le Conseil d’Etat contre l’arrêté fixant ces distances.

À noter qu’à la différence des particules fines ou du dioxyde d’azote émis par les véhicules diesel, les pesticides ne font pas l’objet d’une surveillance réglementaire dans l’air. Il existe seulement des limites à ne pas dépasser dans l’eau et l’alimentation.

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