Le concept est encore très méconnu en France, tandis qu’aux États-Unis, il est théorisé depuis près de 50 ans. Les micro-agressions sont une réalité subie par toutes les personnes victimes au quotidien de discriminations. Souvent insidieuses, elles sont d’autant plus difficiles à combattre que leurs auteurs n’ont pas de mauvaises intentions.

Les micro-agressions, une discrimination insidieuse

Les micro-agressions ont été théorisées par le psychiatre et professeur à Harvard Chester M. Pierce en 1970. Ce terme désigne des comportements envers une communauté qui sont perçus par elle comme insultants ou péjoratifs, alors qu’ils apparaissent banals aux personnes qui les commettent. Souvent, les « micro-agresseurs » n’ont pas conscience que leurs propos offensent les personnes concernées. La professeure américaine Yolanda Flores Niemann, ­directrice du département de psychologie de l’université du Texas du Nord, a fourni des exemples de 3 catégories de micro-agressions qui ont été définies par le psychologue Derald Wing Sue : les micro-assauts, les micro-insultes et les micro-invalidations. Les premiers sont intentionnels et relèvent d’actes de discrimination « habituels » : dans le cadre du racisme, ce sont par exemple des croix gammées dessinées, des drapeaux confédérés brandis ou des tags sur les murs appelant à la haine raciale. Les deuxièmes sont inconscientes et la personne qui les profère a même l’impression qu’il s’agit de compliments. Les remarques telles que « vous venez de quel pays ? »,  » vous n’avez pas d’accent », ou « vous devez être très fort à l’école » sont un signe insidieux de discrimination raciale dont la personne peut ne pas se rendre compte. Enfin les troisièmes, les micro-invalidations, se caractérisent comme le fait de nier l’existence de discriminations.

L’historien Pap Ndiaye, historien et professeur à Sciences-Po, explique : « Ce sont des micro-agressions, si petites que les auteurs ne les perçoivent jamais, mais qui blessent. » Il poursuit : « C’est comme le supplice de la goutte d’eau. Une fois, cela n’a rien de grave, mais un million de fois, c’est insupportable. » Il explique la spécificité de ces micro-agressions en France : « Etre français, c’est encore être blanc ; être non-blanc, c’est être d’ailleurs. » Ce sont toutes ces petites « piques », en apparence inoffensives et anodines, qui rendent souvent la vie impossible à des milliers de personnes, notamment au travail. Ainsi, des personnes noires s’entendent dire, pour leur premier jour de travail, qu’elles sont la « caution exotique » de leur équipe. Un autre exemple de discrimination à laquelle font souvent face les femmes noires est lié à leurs cheveux : pour celles qui ont au naturel les cheveux crépus, bien souvent, elles n’osent pas se rendre avec sur leur lieu de travail, par peur d’avoir des remarques. Elles racontent que beaucoup de personnes se croient encore autorisées à mettre les mains dans leurs cheveux sans demander l’autorisation.

Les personnes victimes de ces discriminations n’osent souvent rien dire, obéissant à la logique du « pas de vagues ». En effet, elles ont peur d’être perçues comme susceptibles, ou de devoir « éduquer » leurs collègues, dans un contexte où, très souvent, les entreprises se caractérisent comme des espaces neutres, où parler de racisme peut apparaitre comme du militantisme. Les micro-agressions concernent toutes les formes de discrimination : elles peuvent être sexistes (« pour une femme, tu es plutôt intelligente »), liées à l’orientation sexuelle ou de genre, mais également concerner les maladies mentales.

― Love the wind / Shutterstock.com

Les « safe spaces », limites à la liberté d’expression ou sécurité nécessaire ?

Cette question des micro-agressions, et principalement de leur ressenti, ne peut s’expliquer sans l’influence des « safe spaces ». Il s’agit d’espaces sécurisés dans lesquels les personnes habituellement victimes de discriminations peuvent se retrouver « entre elles », afin de discuter de leur vécu sans craindre d’être insultées ou de ne pas être écoutées. Très répandus aux États-Unis, principalement dans les campus universitaires, ils n’échappent toutefois pas à la polémique. En effet, initialement restreints à une salle, une classe, dans lesquels les étudiants peuvent se réfugier s’ils estiment qu’un discours les offense, de plus en plus réclament que les universités deviennent entièrement des « safe spaces ».

Ce qui n’est bien sûr pas sans poser question. En effet, les universités sont souvent obligées de rappeler à l’ordre les étudiants qui manifestent avec trop de virulence leur opposition à la venue de personnalités politiques controversées, par exemple. Ce sont donc 2 visions de la liberté qui s’opposent : celle de la liberté d’expression, garantie par le 1er amendement de la Constitution, et la liberté de ne pas être offensé. Carol Christ, à la tête de l’université de Berkeley, souhaite une liberté d’expression garantie : « Si on se laisse embarquer sur le chemin de la censure, on s’y rend soi-même vulnérable. » Selon elle, contre les paroles haineuses, la solution n’est pas de les étouffer, mais de les contrer. De l’autre côté, on affirme que « le discours haineux, en particulier lorsqu’il est raciste, peut choquer et blesser, laisser ses victimes interdites, apeurées, silencieuses, moins capables de participer au débat public », selon Richard Delgado et Jean Stefancic, professeurs de droit.

Comment expliquer cette fracture ? Pour certains, comme Jonathan Haidt, psychologue et professeur d’éthique à l’université de New York, il s’agit d’une question générationnelle. Selon lui, les jeunes Américains arrivant sur les bancs de l’université ont été trop protégés sur le plan émotionnel durant leur enfance. Ce qui fait qu’aujourd’hui, ils ne supportent plus la contradiction. À cela, il faut ajouter la vision américaine de la société, où les personnes ont trop pris l’habitude de voir les choses en « bien » ou en « mal », le « eux » contre « nous ». Cette génération, qui a grandi avec Internet et les réseaux sociaux, est également victime des biais de ces derniers, selon Laurent Dubreuil, professeur de littérature à l’université Cornell, dans l’État de New York. « Les algorithmes utilisés pour monétiser nos usages d’Internet ont intérêt à renforcer les assignations identitaires. » « Sur les réseaux sociaux, nous sommes invités à nous exprimer “en tant que” et sans cesse ramenés à ce que nous sommes censés être, car ils cherchent à nous vendre en fonction d’identités formatées et réductrices. » Selon Pap Ndiaye, si « la norme sociale rejette le racisme », « il reste à sensibiliser l’opinion à l’imperceptible, au latéral, et aussi à l’éduquer« .

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3 Commentaires
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Joss
Joss
3 années

Incroyable mais vrai On est dans un monde de fous alors on ne peut plus parler C’est normal de demander à quelqu’un d’où il vient quelques soient ses origines cela n’a rien d’une insulte au contraire ça c’est toujours fait dans nos villages et nos villes Alors vous venez d’où… Lire la suite »