Selon certains chercheurs, la théorie darwinienne, axée sur la compétition, est incomplète. Ils affirment qu’au contraire, l’évolution est orientée par des phénomènes de coopération, d’interaction et de dépendance mutuelle entre organismes vivants. Mais peut-on imaginer une association à bénéfices réciproques entre un prédateur et une proie ? La réponse est oui, si on considère l’étrange alliance qui unit les alligators et les oiseaux échassiers.

Comme les mafieux sans scrupules, les alligators assurent la protection des oiseaux échassiers dans les Everglades de Floride en échange d’un prix élevé : en effet, selon une nouvelle étude parue dans la revue PLOS ONE, ils sont rémunérés en… poussins.

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Des oiseaux comme les hérons, les aigrettes et les cigognes ont souvent été observés en train de construire leurs nids à proximité immédiate des alligators. Un moyen d’échapper aux prédateurs, comme les ratons laveurs et les opossums. Les alligators sont capables de manger les mammifères de cette taille, mais ne peuvent pas sauter suffisamment haut pour atteindre les nids des oiseaux (oui, les alligators savent sauter !).

Les chercheurs ont émis l’hypothèse que certaines espèces d’échassiers privilégient les sites de nidification situés au-dessus des alligators. Cependant, jusqu’à présent, on en savait peu sur les bénéfices tirés par les reptiles de cette « protection » qui rapproche l’étrange cohabitation des espèces d’une symbiose mutualiste au sens très large du terme.

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Les auteurs de l’étude soutiennent que les alligators vivant à proximité des colonies d’oiseaux sont en meilleure condition physique, ce qui pourrait avoir deux explications. Tout d’abord, les populations d’animaux-proies sont plus abondantes dans ces régions en raison d’une disponibilité élevée de guano des oiseaux – ou fientes – qui fournit une source d’alimentation à de nombreuses espèces aquatiques.

Plus important encore, cependant, les chercheurs notent que toutes les espèces d’échassiers sont connues pour pratiquer la réduction de la couvée : certains poussins sont éjectés du nid lorsque les oiseaux pondent plus d’œufs qu’ils ne peuvent élever. Ces poussins abandonnés sont considérés comme une source importante de nourriture supplémentaire pour les alligators, et représentent l’avantage le plus évident pour ceux qui vivent à proximité de colonies d’oiseaux.

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Pour tester cette hypothèse, les auteurs de l’étude ont réuni les alligators à travers les Everglades, en comparant le bien-être physique et nutritionnel des spécimens vivant dans la colonie à ceux chez les spécimens vivant dans des emplacements extérieurs. Les examens ont été réalisés par prélèvement de petits échantillons de sang de chaque animal capturé afin d’analyser les niveaux de sucre dans le sang et toute une gamme d’autres indicateurs clés de la santé nutritionnelle, connus sous le nom de métabolites plasmatiques intermédiaires (MPI).

En même temps, ils ont déterminé les indicateurs corporels des alligators, en calculant le rapport entre la masse corporelle et la longueur. Connu comme le coefficient de condition de Fulton, ce chiffre a été utilisé dans plusieurs études antérieures pour décrire la santé globale des alligators.

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Fait intéressant, les chercheurs n’ont constaté aucune différence de MPI entre les alligators des colonies associées et ceux qui ne vivent pas à proximité de colonies d’oiseaux. Mais ils ont noté une différence significative au niveau du coefficient de Fulton. Cette disparité dans l’état corporel entre les deux groupes d’alligators était supérieure à la différence de condition physique entre les oiseaux capables de reproduction et ceux qui en sont incapables, telle que déterminée dans une étude précédente. Ainsi, les chercheurs affirment que la nutrition supplémentaire obtenue à partir de poussins d’oiseaux échassiers peut être suffisamment importante pour affecter le succès de reproduction des alligators.

En expliquant l’absence de variation de MPI entre les deux groupes, les auteurs de l’étude notent qu’aucun des alligators dans les deux groupes n’a été complètement privé de nourriture, et n’a donc pas affiché les MPI associés à l’extrême famine, quel que soit leur accès aux poussins d’oiseaux. Bien que cela suggère que les alligators dépourvus de cette composante de leur régime alimentaire ne soient pas nécessairement dans le besoin urgent de nourriture, le reste des données indique clairement que la santé nutritionnelle globale de ces animaux était inférieure à celle des alligators des colonies associées.

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Les chercheurs suggèrent que l’expérience soit répétée à d’autres endroits afin de vérifier ces résultats et l’hypothèse que les alligators peuvent activement rivaliser entre eux pour accéder aux colonies d’oiseaux échassiers.

Très étrange, cette cohabitation entre les proies et les prédateurs. Basée sur la relation gagnant-gagnant, elle montre que la connaissance des relations entre les espèces est encore très insuffisante et qu’on n’est jamais à l’abri de découvertes surprenantes ! Si vous avez aimé cette histoire, nous vous invitons à découvrir cette vidéo d’un python digérant un alligator.

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