Il fut un temps où les orques et les hommes partageaient sans heurts les riches ressources halieutiques au large de l’Alaska. Mais cette période semble aujourd’hui révolue. Une compétition féroce s’est engagée entre les groupes de cétacés et les bateaux de pêche.

Un animal à l’intelligence fascinante

« Nous avons été chassés de la mer de Béring », regrette Paul Clampitt, un propriétaire de bateau de pêche dans l’état de Washington. Pour lui comme pour ses collègues, la scène se répète sans cesse plus fréquemment depuis quelques années : de larges groupes d’orques (appelés pods) encerclent les petits bateaux de pêche pour les dépouiller de leurs prises. Un phénomène désormais systématique.

Les orques sont des animaux fascinants : leur intelligence exceptionnelle et leur complexe organisation sociale est en effet renforcée par une aptitude que l’on a longtemps cru l’apanage des grands singes, l’apprentissage. Les Orcinus Orca développent des formes de langage extrêmement élaborées faites de cris et de chants. Or, ces langages divergent d’un groupe à l’autre. Plus incroyables encore, des chercheurs ont montré qu’ils pouvaient aussi imiter les dauphins. Animaux très sociaux, capables de véritables comportements culturels, les orques se transmettent des savoirs de génération en génération.

Par conséquent, leurs techniques pour s’emparer du poisson des pêcheurs s’affinent. Les orques sont désormais capables de reconnaître les chalutiers. Grâce à leur ouïe très développée, ils parviennent même à savoir exactement à quel moment les engins de pêche sont jetés à l’eau. Ils se montrent parfois agressifs lorsqu’ils sont impatients ou particulièrement affamés. Pourtant, la science a montré qu’en dehors des spécimens maltraités en captivité, Orcinus Orca n’attaque pas l’homme. Il s’agirait donc bien d’intimidation pure et simple.

Les orques peuvent sauter jusqu’à 5 mètres au dessus de l’eau

Des pêcheurs impuissants

Les orques ont un goût prononcé pour les gros poissons comme le flétan ou la morue. Ils s’emparent du poisson au bout des hameçons, ne laissant que des miettes à l’homme (Un phénomène déjà filmé dans le cas d’un cachalot). Une fois le bateau connu, ils le suivent sur des dizaines de kilomètres pour piller impitoyablement l’intégralité de ce qu’il pêche. À quoi bon travailler si dur pour céder le fruit de leur labeur à des compétiteurs marins, se demandent donc les pêcheurs.

Puisqu’il est en outre fort probable que la pratique soit enseignée par les mères aux plus jeunes, elle risque de s’installer dans la durée. Les animaux risquent de toute manière de trouver un moyen efficace de contrer les ruses humaines. Même les sonars électroniques dont sont équipés, les chalutiers ne les éloignent plus. Maintenant habitués à cette technique, les orques associent ces sons à la présence de pêcheur, et donc de nourriture.

Le pêcheur lui, contraint à un objectif de rentabilité, ne peut pas se permettre n’importe quoi pour remporter ce combat. Par exemple, le coût en essence et en motorisation pour distancer leurs concurrents devient vite trop élevé. De la même manière, l’amélioration du matériel de pêche des petits bateaux nécessite un investissement trop coûteux (de l’ordre de plusieurs dizaines de milliers de dollars). La lutte entre l’homme et l’orque est donc bien en train de virer à l’avantage de ce dernier.

Des orques au large de l’Alaska

Une espèce longtemps maltraitée

Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi. La concurrence entre pêcheurs et cétacés n’est visibles que depuis quelques années. Un phénomène qui s’explique d’abord par la croissance du nombre de ces prédateurs marins. La population de cette espèce a toujours été difficile à estimer. Les groupes se déplacent en effet sur d’immenses distances, et privilégient les mers froides.

Mais pendant des années, ils ont été chassés et même massacrés par des pêcheurs jusque dans les années 50. Ils ont aussi été capturés pour être exhibés dans les parcs aquatiques, une vraie torture pour ces animaux épris de liberté. En 1982, heureusement le moratoire sur la chasse commerciale à la baleine (qui comprend aussi Orcinus Orca) est signé. C’est la fin d’une pratique qui a décimé pendant des siècles les grands cétacés.

La cruelle pratique du dressage des dauphins, mais aussi des orques dans les parc aquatiques se poursuit de nos jours. Le film Blackfish, en 2014, avait ainsi mis en lumière leurs terribles conditions de vies dans le parc de SeaWorld. Les mammifères marins ne sont en effet absolument pas adaptés à une vie en captivité. Le retentissement du film a provoqué une prise de conscience générale qui a remis en cause ce modèle. Choqués, de nombreux clients s’en sont détournés. Les défenseurs de ces animaux réclament aujourd’hui l’interdiction totale de ce genre de « divertissement ».

En France aussi, les orques sont capturés pour l’amusement du public. Ici dans le parc Marineland

La revanche des orques

Tous ces éléments ont naturellement poussé les orques à éviter la présence humaine. Leur hardiesse vis-à-vis des pêcheurs peut donc être vu comme un signe encourageant. Les animaux, à présent protégés, cessent donc en une génération de craindre les hommes et leurs bateaux. La mer est à eux, avec tout ce qui s’y mange, semblent donc dire les cétacés à l’homme. Une belle revanche après des siècles de chasses.

La chasse n’est pourtant pas la seule menace qui plane au dessus de la tête de cette espèce. La pollution globale des océans leur est particulièrement néfaste, notamment les PCB. Certains groupes sont toujours menacés, mais il est difficile comme on l’a vu d’établir un bilan globale de l’état de l’espèce. Leur comportement téméraire ne pourrait-il pas être la conséquence d’un manque de nourriture?

Enfin, même si l’on se place du point de vue optimiste, l’accroissement constant de leurs populations et la fin de leur coexistence pacifique avec les pêcheurs, s’ils réjouissent tous les amoureux de la nature, pourraient avoir des effets pervers. En effet la double prédation sur ces proies, déjà surpêchées depuis des décennies et menacées d’extinction à moyen terme, accroît la pression. L’aire de répartition des orques, qui n’ont pas de prédateurs naturels, ne fait en outre que croître (phénomène encore amplifié par la fonte de la banquise aux pôles). Un jour, la ruine des pêcheurs et les craintes pour l’équilibre des écosystèmes marins pourraient donc remettre en cause le moratoire qui a sauvé ce splendide animal.

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