Charlotte Reiniger, dite « Lotte », est une pionnière du film d’animation traditionnel et une femme de caractère qui n’a jamais abandonné ses convictions face aux vicissitudes de l’histoire. Le travail de cette artiste avant-gardiste est aujourd’hui encore d’une modernité incroyable.

Lotte Reiniger est née à Berlin le 2 juin 1899. Sa jeunesse est peu documentée, mais on sait que, petite déjà, elle se passionne pour les théâtres d’ombres venus d’Asie et pour les productions de Georges Méliès.

Elle débute sa carrière dans la troupe du réalisateur Paul Wegener qui lui confie les génériques de ses productions Rübezahls Hochzeit (Le Grand Mariage, 1916) et Der Rattenfänger von Hameln (Hameln le charmeur de rats, 1918). En 1919, elle réalise son premier court-métrage Das Ornament des verliebten Herzens (Les ornements des cœurs amoureux) qui lui permet d’être remarquée. En 1922, suivent les courts-métrages muets Cendrillon et La Belle au bois dormant.

En 1923, elle commence la réalisation des Aventures du prince Ahmed. Inspiré du conte Les Mille et Une Nuits, entièrement fait d’ombres chinoises, ce film est aujourd’hui considéré comme le plus vieux film d’animation encore préservé. Montré pour la première fois au public en 1926, il confère à la jeune réalisatrice une notoriété et une reconnaissance internationale.

ŒUVRE D’UNE GRANDE PRÉCISION TECHNIQUE, LE FILM COMPORTE PLUS DE 300 000 IMAGES, SOIT 24 IMAGES PAR SECONDE, SOIT 65 MINUTES PAR FILM

Les Aventures du prince Ahmed, Lotte Reiniger, 1926

Les Aventures du prince Ahmed est d’ailleurs considéré comme son chef-d’œuvre. Pour le réaliser, elle a été aidée de son époux Carl Koch à la prise de vue, Berthold Bartosch aux effets spéciaux et Walter Ruttmann pour les arrière-fonds qui étaient manipulés séparément des personnages. Le film est en noir et blanc, mais il a été teint en trempant le positif dans un bain de couleur. La musique de Wolfgang Zeller a été créée pour l’occasion.

Grâce à ce premier succès, elle réalise de nombreux courts-métrages inspirés de contes, auxquels elle ajoute comme support sonore des œuvres classiques, souvent des pièces de Mozart qu’elle affectionne plus particulièrement. Elle réalise également régulièrement des réclames pour différentes marques.

Lotte Reiniger en 1939

Cependant, dès l’arrivée au pouvoir des nazis en 1933, Lotte Reiniger et son époux souhaitent quitter le pays. Proches de la gauche sous la république de Weimar et ouvertement amis avec de nombreuses personnes de confession juive, le climat politique de cette époque en Allemagne ne leur convient guère, d’autant qu’ils sont également proches des artistes d’avant-garde dont le travail est régulièrement qualifié de « dégénéré » par le régime. Pour autant, si la personnalité et les opinons de Lotte Reiniger sont en opposition avec le pouvoir en place, ses œuvres sont toujours appréciées pendant cette période.

En 1936, les époux Reiniger-Koch parviennent à obtenir un visa pour l’Angleterre où ils continuent de créer et fondent leur société de production. Cependant, ce visa ayant une validité limitée, ils voyagent ensuite entre Paris et Rome aux côtés de leur ami de longue date Jean Renoir avec qui ils ont travaillé sur le film La Tosca en 1941. En 1943, le couple retourne à contrecœur en Allemagne pour s’occuper de la mère malade de Lotte. En 1944, Lotte crée son premier film depuis six ans : L’oie d’or. La Seconde Guerre mondiale n’a pas seulement mis un coup d’arrêt à la création de Lotte Reiniger, c’est aussi à cette période qu’une grande partie de ses négatifs originaux ont été détruits. Une vingtaine de films ont ainsi été perdus en totalité ou en partie. Heureusement, il existait déjà des copies de son travail et certains de ses films ont ainsi été sauvés.

APRÈS LE DÉCÈS DE SON ÉPOUX EN 1963, LOTTE REINIGER CESSE LA PRODUCTION DE FILMS PENDANT PLUS DE 10 ANS

Ivan Tsarevitch et la princesse changeante : Photo
Photo ajoutée le 23 décembre 2016|Copyright Septième Factory

En 1949, le couple émigre à Londres et de 1951 à 1955, ils tournent pas moins de 15 courts-métrages. En 1955, elle obtient un Dauphin d’argent à la Biennale de Venise pour The Gallant Little Tailor (1954), un épisode de la série Primrose Films (production de films pour enfants, qu’elle avait fondée). Elle est également à l’origine de nombreux logos, comme celui de la National Deaf Children’s Society, l’organisation gouvernementale pour la protection des enfants touchés par la surdité, encore utilisé aujourd’hui.

Parallèlement à ses deux derniers films Aucassin and Nicolette en 1975 et The Rose and the Ring en 1979, elle donne des conférences sur son travail pionnier.

Elle s’éteint en 1981, peu après son 82e anniversaire, à Dettenhausen en Allemagne. Son œuvre impressionnante a inspiré de nombreux artistes qui ont fait appel à elle, mais également à des réalisateurs actuels dont le plus célèbre est Michel Ocelot, le réalisateur de Kirikou et la Sorcière, de Princes et Princesses ou encore d’Azur et Asmar.

La rédaction est littéralement sous le charme des films de Lotte Reiniger, pionnière dans le cinéma d’animation. Pour découvrir une autre femme pionnière du cinéma, découvrez Alice Guy.

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