La fabrication d’un seul sabre japonais prend entre un et deux mois. Les vraies lames traditionnelles sont forgées à partir de l’acier tamahagane qui permet aux maîtres de fabriquer des lames parfaites. Le processus est minutieux et englobé de mystères, mais quelques forgerons sont encore aujourd’hui capables de produire ces lames caractéristiques du Japon féodal. SooGeek vous les fait découvrir.

 

La fabrication d’une lame
Tout commence par du gravier ou du sable noir contenant trois minéraux : la magnétite, la marcassite et l’hématite. Et pas qu’un peu. S’il veut forger une lame, il va falloir récupérer une énorme quantité de fer. En espérant qu’il y ait une mine dans la région, sinon cela inclut des transports plus ou moins onéreux. La sélection est rigoureuse et seul le minerai de qualité supérieure sera récolté. Une fois le minerai chez le forgeron, il faut passer par l’étape du tatara, un bas fourneau traditionnel avec deux soufflets reliés au four central. Le forgeron doit passer cinq jours à travailler constamment sur le four. La première journée est passée à préparer les parois du four, les trois suivantes servent à fabriquer l’acier et le dernier à l’extraire du four convenablement. Pour cela, il faut 8 tonnes de satetsu (sable ou gravier donc) et 13 tonnes de charbon pour faire grimper la température jusqu’à 1400 °C. C’est à ce moment précis que l’on apporte de l’oxygène grâce aux soufflets qui, au contact du carbone du charbon de bois, deviendront de l’oxyde de carbone et résulteront à la fin du cycle en un bloc d’acier d’approximativement 2 tonnes, appelé kera. L’acier de ce bloc est le fameux acier tamahagane.

 

 

Le forgeron comprime le métal pour le purifier et sélectionne les meilleurs morceaux suivant leur faciès de rupture, c’est-à-dire l’allure de la surface résultant de la rupture d’un morceau. Le métal est aplati jusqu’à faire une épaisseur d’environ 6 millimètres, puis chauffé de nouveau et immergé dans l’eau froide. On brise le résultat et de nouveau les surfaces sont analysées pour déterminer quel morceau offre la meilleure qualité. Deux briques sont ensuite faites, pliées maintes fois, feuilletées. La tradition stipule que les briques doivent être martelées puis repliées 23 fois. Ça, ce sont les principes de base, mais chaque forgeron et tradition apporte ses nuances et son style en s’adaptant au type de métal obtenu. Une fois la besogne faite, les deux morceaux sont soudés puis allongés jusqu’à devenir une lame. Il faut à présent passer à la trempe.

 

 

Le forgeron doit trouver le juste équilibre entre souplesse de la lame et son tranchant. Pour ne pas traumatiser le dos et les flancs du morceau, il les recouvre d’un mélange d’argile et d’autres éléments gardés secrets par chaque tradition. Une fois trempé, seul le tranchant subira tout le refroidissement alors que le reste sera protégé et conservera sa souplesse en refroidissant plus doucement. Tout comme la température du four devait être exactement à 1400 degrés, la température de l’eau et la durée de chaque immersion doivent être calculées à la seconde près. Un travail d’un mois peut être rendu inutile pour un geste mal exécuté ou une trempe trop longue. C’est seulement grâce à des siècles de perfectionnement intensif et des matériaux authentiquement japonais que les lames japonaises sont devenues légendaires.

 

 

 

Une fois la lame trempée avec succès, la dernière étape consiste à polir cette dernière. Ce n’est véritablement qu’à cette étape que le forgeron saura si son travail aura payé ou non. En étant polie, la lame révèle sa solidité et sa pureté. La tâche doit être parfaitement exécutée et est donc confiée à un togishi, c’est-à-dire un polisseur de lames de sabres dont c’est l’unique artisanat. Une lame sera polie pendant plusieurs semaines afin de faire ressortir son brillant et son tranchant. Le polisseur utilisait jadis trois pierres différentes, de la plus abrasive à la plus dure, mais depuis 1600, sept pierres sont utilisées pour la première étape du polissage : ji-togi. Cette étape permet d’apporter les dernières modifications et de nettoyer les dernières impuretés de rouille. La deuxième étape, shiage, perfectionne l’esthétique de la lame en faisant ressortir les couleurs et les reflets de l’acier. Le tout est complété en appliquant un mélange d’huile et d’abrasif pour apporter la dernière finition.

 

Les derniers maîtres

 

 

Né en 1946, Gassan Sadatoshi décide de devenir forgeron pour perpétuer la tradition familiale et transmettre le savoir à ses propres enfants. S’il est si attaché à cet héritage, c’est parce que sa famille forge des sabres depuis la période Kamakura, il y a plus de 800 ans. Il est le maître actuel de l’école de Gassan et est aussi connu pour ses magnifiques gravures sculptées sur les lames, les horimono. Il utilise un mélange de deux tamahagane, celui de l’année en cours et celui de l’année dernière pour créer les lames les plus flexibles et résistantes. Sadatoshi est à la tête de la société des maîtres forgerons de sabres traditionnels japonais alors que son père eut l’honneur de porter le titre de Trésor national vivant par le gouvernement japonais. Depuis 2003, Sadatoshi porte le titre de Détenteur de l’héritage sacré et culturel du Japon et est le forgeron favori de l’empereur Akihito. Pour un set complet avec katana (sabre), wakizashi (sabre court) et tanto (couteau), il faudra débourser environ 30 000 €.

 

 

Peut-être le fabricant de sabres le plus connu de notre époque, Yoshindo Yoshihara est tout aussi qualifié que Sadatoshi mais appartient à une autre école et tradition. Il débute son apprentissage avec son grand-père à l’âge de 12 ans et ne quittera plus jamais la forge. Il doit sa célébrité au résultat de son travail titanesque et de ses nombreuses expériences. Il a redécouvert un bon nombre des secrets oubliés des forgerons de l’époque Kamakura (1192-1333), puis amélioré les techniques. La plus fameuse d’entre elles est l’utsuri, voulant dire « reflets », qui applique un effet blanchâtre et lumineux sur le métal sur les côtés de la lame. La technique est maitrisée une fois que l’on peut voir ce reflet à la surface de l’eau. Après trois ans d’essais, il parvient à retrouver ce savoir perdu à l’époque Edo. Le secret et en fait de faire chauffer trois bandes distinctes à des températures différentes. Le tranchant à 800 °C, le dos à 710 °C et les côtés ou l’utsuri apparait à 755 °C. Les maîtres n’utilisent la plupart du temps que leurs sens pour jauger de la température et ne se trompent jamais.

 

 

Pour finir, voici le maître togishi (polisseur) de notre époque, Yoshihiko Usuki. Né à Fukugawa, Tokyo, il devient l’apprenti du maître Matsuo Fujishiro à sa sortie du lycée. Il reste son apprenti pendant 10 ans, qui est la durée traditionnelle pour être considéré comme apte à exercer un art au Japon. Il en est par exemple de même avec les maîtres sushi. Maintenant, ses compétences dépassent même le monde du sabre japonais puisque même de grandes instituions comme le British Museum demandent à Usuki de polir de vieilles lames. Son travail est avant tout de sublimer le produit déjà existant, et de libérer tout le potentiel de la lame. Usuki explique qu’une lame n’est pas simplement faite pour tuer son adversaire, sinon il ne servirait à rien de la faire briller. En réalité, « les sabres représentent l’âme du bretteur » qui l’utilise et le rôle du togishi est par conséquent de faire ressortir la beauté intérieure du métal. Le brillant de la lame est le reflet de l’âme du guerrier.

 

Élaborée d’abord pour équiper les guerriers et construit pour être le plus létal possible, la fabrication du sabre japonais est devenue un art à part entière. Un véritable travail artisanal qui demande une maitrise infaillible de chaque geste participant à la création de la lame. Évoluant maintenant depuis des siècles, l’art de la forge du sabre japonais est une tradition qu’on espère voir perdurer encore longtemps. Rêveriez-vous d’avoir une lame japonaise ou préféreriez-vous une épée de chevalier européen ?

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