Qu’est-ce qui différencie réellement le chien et le loup ? Comment expliquer l’apprivoisement ancestral de ce prédateur carnivore ? Une étude vient de mettre en évidence le rôle primordial de certains gènes dans ce processus.

Des cousins si différents

Le chien descend du loup. Les deux espèces partagent l’essentiel de leur patrimoine génétique. Pourtant leurs comportements divergent fortement. Un monde semble en effet séparer le « meilleur ami de l’homme », qui l’accompagne depuis des millénaires, du redoutable prédateur encore redouté par les éleveurs et les bergers aujourd’hui.

Pour expliquer la domestication du loup, qui aurait progressivement donné naissance aux chiens, on a souvent mis en avant le regard, l’intelligence, mais aussi une forme d’intelligence cognitive développée au cours des millénaires de cohabitation avec l’homme. Ce qui leur permet de s’adapter plus aisément à l’environnement humain. Paradoxalement, peu d’études génétiques avaient été menées à ce sujet (comparativement à d’autres traits relevant de l’apparence). Surtout, l’observation de loups élevés au contact de l’homme avait montré leurs capacités sociocognitives égales à celles des chiens.

Les loups domestiques montrent des capacités cognitives proches de celles du chien. Mais pas le même intérêt pour l’homme

Génétique et comportement

Les chercheurs de l’Université de Princeton et de celle de l’Oregon ont donc comparé l’attitude de dix de ces loups gris apprivoisés et de dix-huit chiens domestiques, en leur faisant effectuer un test simple : les animaux devaient ouvrir une boîte renfermant une friandise comme récompense. Ils avaient deux minutes. Ils ont constaté que si les loups restaient concentrés sur leur tâche et leur récompense, les chiens étaient plus susceptibles de perdre du temps en s’intéressant au scientifique présent.

Même lorsque celui-ci restait passif, gardant les yeux rivés vers le sol, l’intérêt pour lui divergeait selon les animaux. Dans les deux cas ceux-ci, intrigués, s’en approchaient. Mais au bout de quelques instants, les loups s’en détournent pour revenir à leur tâche, tandis que les chiens perdent du temps (et une possible friandise) à chercher à nouer un contact prolongé avec l’homme (qu’il s’agisse d’un inconnu ou non). Tout indique donc que l’attrait de l’homme sur le chien dépasse en quelque sorte celui de la nourriture ! Une précédente étude menée par Monique Udell (l’une des auteur de cette étude), avait déjà montré la propension bien supérieure de chiens sauvages d’Inde, par rapport aux loups, à s’intéresser aux humains.

Les chiens sauvages d’Asie ne sont pas domestiqués. Pourtant, ils manifestent une curiosité pour l’homme bien plus forte que le loup.

Le gène de l’hyper-sociabilité

Les scientifiques ont alors l’intuition que la génétique est d’une manière ou d’une autre en cause, et décident de soumettre les bêtes à une analyse ADN. Ils se sont particulièrement penchés sur les 29 gènes d’une région d’un chromosome connu pour être en cause dans la sociabilité. En effet, la suppression de deux d’entre eux, GTF21 et GTF21RD1, provoque chez l’homme le syndrome de Williams-Beuren, une maladie qui provoque des retards de développement mais aussi…une hyper-sociabilité. Or, par rapport à leurs ancêtres, les chiens avaient subi une mutation de ces gènes.

Ce qui indique donc qu’il auraient un rôle dans « les différences de comportement observées entre les loups et les chiens qui facilitent chez ces derniers la coexistence avec l’homme », avance la biologiste Bridgett vonHoldt, co-auteure du papier paru dans Science Advances. Et fait dire à Monique Udell que « les chiens ont plutôt une condition génétique qui peut conduire à une motivation exagérée pour chercher un contact social par rapport aux loups« . Un pas de géant dans l’étude de ce qui, génétiquement, a permis à l’homme de transformer le loup en chien.

Un loup dans le Montana. Au cours des siècles, certaines races de chiens ont progressivement perdu l’aspect du loup suite à la sélection humaine

La domestication du chien

La sélection artificielle (pratiquée depuis des milliers d’années par l’homme de manière empirique, notamment pour l’agriculture), a donc favorisé cette mutation aisément identifiable par l’élevage, qui a ainsi été transmise aux différentes races de chiens domestiques. Ce qui aurait permis ainsi la coexistence des premiers chiens avec l’homme. Et favorisé une divergence comportementale et génétique extrêmement rapide d’avec le loup.

Les biologistes et les paléontologues s’interrogent toujours sur le processus de domestication du chien. Attirés par les restes de nourriture, il est probable que les loups aient suivi les groupes humain depuis des temps immémoriaux. L’hypothèse dominante supposait une domestication définitive vers -14 000, lors de la dernière ère glaciaire, à l’orée du néolithique. Mais un crâne récemment retrouvé en Sibérie pourrait repousser ce moment à une période comprise entre 20 000 et 40 000 ans. Le début d’une longue histoire dans laquelle l’homme, aidé par la mutation de GTF21 et GTF21RD1, a transformé en quelques millénaires le redoutable loup en gentil toutou…

Une des plus vieilles représentations du chien. Retrouvée en Chine date du néolithique, elle nous rappelle l’ancienneté des rapports entre hommes et chiens.
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