Si vous êtes amateur de nanars, peut-être connaissez-vous le nom d’Alan Smithee. Présent au générique de nombreux films ignorés par la critique, il trône parmi les pseudonymes les plus utilisés par les cinéastes soucieux de protéger leurs carrières de leurs plus mauvaises œuvres. Le DGS vous en dit plus sur l’un des noms les plus célèbres du cinéma.

Nombreux sont les réalisateurs à fuir leurs propres créations en empruntant un pseudonyme. La raison ? Un film malmené, souvent à cause de la pression des producteurs et grands studios empêchant les cinéastes de garder un contrôle artistique sur leur projet. Parmi les pseudonymes les plus souvent utilisés, on retrouve celui d’Alan Smithee et ses variantes, Alan Smythee, Allen Smithee ou encore Adam Smithee.

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Jusque dans les années 60, lorsque le tournage, le montage ou l’œuvre dans son ensemble tournait au désastre, le réalisateur était critiqué et quand, au contraire, son travail méritait récompense, c’est entre les mains du producteur que l’on remettait une statuette dorée. Et pour cause, ces derniers avaient tous les droits, le final cut d’un film étant toujours et obligatoirement soumis à leur bonne volonté.

POUR CERTAINS, SMITHEE PROVIENT DU SURNOM DONNÉ À L’UN DES NOMS LES PLUS COMMUNS D’AMÉRIQUE : SMITH

De leur côté, les cinéastes n’avaient que très peu de façons d’exprimer leurs avis et étaient soumis aux règles du puissant syndicat des réalisateurs américains, la DGA (Directors Guild of America). Interdisant formellement l’utilisation de pseudonyme, le syndicat mettait un point d’honneur à ce que les films, même les plus mauvais, soient signés de la main de leurs créateurs, cette mesure devant originellement servir à protéger le cinéaste d’une éventuelle spoliation.

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C’est en 1955 qu’Alan Smithee fait ses débuts dans l’industrie au générique du téléfilm « The Indiscreet Mrs. Jarvis ». Derrière cet alias se cache Frank Burt, un réalisateur américain dont le travail avait été réduit à néant par les monteurs et producteurs souhaitant à tout prix faire correspondre le film aux standards télévisuels de l’époque. Il faudra cependant attendre 1969 pour observer l’ascension d’Alan Smithee. Cette année-là, Universal accepte de prendre sous son aile le projet du réalisateur Robert Totten, « Une poignée de plombs » (Death of a Gunfighter en version originale).

Le cinéaste, alors habitué aux créations télévisuelles, rencontre en coulisses l’homme qui prêtera ses traits au héros, Richard Widmark, un acteur accompli de 55 ans. Vous l’aurez compris, les deux hommes ne s’entendent pas et leurs éclats de colère sont tels que, seulement une vingtaine de jours après le début du tournage, l’acteur obtient par le studio le remplacement du réalisateur. Totten est écarté et la place est laissée à Don Siegel, qui connaîtra une carrière prolifique.

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Une fois le tournage terminé, aucun des deux réalisateurs n’accepte de signer le film. Embêtés, les producteurs et partenaires d’Universal font appel à la DGA pour trouver un compromis. En fin de compte, le syndicat opte pour le pseudonyme qui fait ainsi ses grands débuts au cinéma. S’il est bien l’anagramme de The Alias Men, différentes histoires entourent la création de ce nom : pour certains, Smithee proviendrait du surnom donné à l’un des noms les plus portés outre-Atlantique, « Smith ».

TOUT LE MONDE NE PEUT PAS UTILISER CE PSEUDONYME

Choisi pour passer inaperçu parmi les autres cinéastes, le nom devait être commun et la première version en sera Al Smith. L’ennui, c’est qu’il est déjà inscrit dans les archives de la DGA, un employé étant tout simplement prénommé de la sorte. Siegel proposera lui-même d’enregistrer le film sous l’alias « Allen Smithee » qui évoluera au fil du temps pour Alan Smithee.

Attention toutefois, tout le monde ne peut pas utiliser le pseudonyme et, pour ce faire, une demande doit être formulée auprès de la DGA, accompagnée d’un dossier remplissant le cahier des charges du syndicat avant d’être analysée par une commission spéciale créée pour l’occasion. Le simple rejet d’une œuvre n’est pas une raison valable et si la demande est acceptée, le réalisateur doit faire profil bas et ne parler sous aucun prétexte des raisons l’ayant poussé à utiliser cet alias.

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Bien évidemment, de nombreux grands noms du cinéma ont utilisé l’alias, dont Dennis Hopper, Kiefer SutherlandDavid Lynch pour la version télévisée de Dune, mais son exposition la plus remarquée se fera lors de la sombre affaire entourant l’œuvre Twilight Zone, adaptée de la série du même nom. Lors du tournage de l’un des sketchs composant le long métrage, un accident d’hélicoptère coûte la vie à plusieurs acteurs et l’équipe de tournage doit alors répondre aux accusations d’homicide involontaire.

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Face au tollé, le procureur propose aux équipes du film de ressortir de cette affaire avec un casier vierge en échange de témoignages contre le réalisateur, John Landis. Quelques jours avant l’avant-première du film, l’accusation devient publique. Le réalisateur sortira blanchi de cette histoire et son assistant insistera auprès de la DGA pour que son nom soit remplacé au générique du film.

En 1999 sort un film relatant la carrière de Smithee et exposant la vérité sur ce pseudonyme aux yeux de tous. Coup du sort, le film est un véritable navet et est renié par son auteur qui, cherchant à le faire disparaître, arrivera à obtenir la permission d’utiliser l’alias de la DGA. « An Alan Smithee Film : Burn Hollywood Burn » sera donc signé Alan Smithee. Face aux critiques, le syndicat des réalisateurs américains mettra un terme à l’utilisation de l’alias dans les années 2000. Aujourd’hui, l’alias est toujours utilisé par quelques nostalgiques et on peut le retrouver dans l’industrie musicale, vidéoludique ou littéraire.

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Avec plus d’une centaine de films à son actif sur plus de 40 ans d’activité, Alan Smithee est l’un des cinéastes les plus productifs du cinéma américain, à défaut d’en être le plus talentueux. Le nom est entré dans l’histoire en permettant aux réalisateurs de faire valoir des droits sur leurs créations et d’obtenir une reconnaissance financière sur des films massacrés par l’industrie.

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