Bien loin de la culture occidentale, le Japon et ses codes ont pourtant beaucoup à nous dire. Le réalisateur et scénariste Akira Kurosawa fut parmi les premiers à révéler au monde occidental la richesse du cinéma japonais, grâce à une œuvre humaniste plongeant ses racines dans un Japon féodal. Révolutionnaire par sa technique et son art du montage, Kurosawa livre des films épiques et réflexifs, dont l’image en noir et blanc ne doit surtout pas rebuter le spectateur actuel.

Né en 1910 d’un père officier impérial puis enseignant dans l’armée et descendant d’une famille de samouraïs, et d’une mère fille de marchands, Akira Kurosawa est très tôt encouragé dans les disciplines artistiques. Dès ses 6 ans, il est initié au cinéma et au théâtre, et ses professeurs le poussent à pratiquer la calligraphie, le dessin et la peinture, pour lesquels il se passionne. Il ira jusqu’à présenter ses toiles lors d’expositions de la Ligue des Artistes Prolétariens, sans jamais parvenir à en vivre, et finit par abandonner.

Il se tourne définitivement vers le cinéma lorsqu’il emménage avec son frère Heigo, qui exerce le métier très spécifique de benshi : il reproduit oralement les sous-titres des films muets pour que les spectateurs analphabètes puissent suivre l’intrigue. Heigo le plonge ainsi dans les arcanes du cinéma, mais aussi dans la profondeur de la misère des basses classes japonaises, et laisse une empreinte profonde sur Kurosawa, qui subira douloureusement son suicide.

SON FRÈRE LE PLONGE DANS LES ARCANES DU CINÉMA MAIS AUSSI DANS LA MISÈRE DES BASSES CLASSES JAPONAISES

Akira Kurosawa entre en 1935 dans les studios des Photo Chemical Laboratories – qui deviennent quelques mois plus tard la Toho Company – en tant qu’assistant, par concours. Il reste 8 ans à ce poste, au service du réalisateur Kajiro Yamamoto, qu’il appellera « maître » toute sa vie, malgré leurs divergences d’opinion.

Une peinture d’Akira Kurosawa

RASHOMON EST VISUELLEMENT ANCRÉ DANS LE JAPON DU Xe SIÈCLE

Il réalise son premier film en 1943 à partir d’un de ses scénarios et inspiré du roman Sugata Sanshiro de Tsuneo Tomita : La Légende du grand judo. Succès critique et public, le film lance la carrière de Kurosawa. Alors que cette première création est censurée d’une vingtaine de minutes, le réalisateur gagne en liberté d’expression et en aisance financière après Rashomon, qui lui vaut de gagner le Lion d’or au festival de Venise et l’Oscar du meilleur film étranger à Hollywood.

Tout à fait original et bien loin déjà de La Légende du grand judo, manichéen et moralisateur, ce film presque à huis clos montre ses personnages tenter de démêler le vrai du faux dans une affaire de viol et de meurtre. Chacun est invité à donner sa version des faits, y compris l’accusé, pourtant mort, par l’intermédiaire d’un médium.

Vaste interrogation sur l’honnêteté de l’homme et son incapacité à dire la vérité sans la tourner en sa faveur, Rashomon est visuellement ancré dans le Japon du Xe siècle mais nous montre une bassesse humaine intemporelle. Une réflexion universelle qui permet à Kurosawa d’être désormais célébré au Japon comme en Occident.

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C’est toute la force de ce réalisateur : créer des films profondément ancrés dans la culture et l’histoire nippones, qui prennent pourtant facilement une dimension universelle, ouvrant ainsi son cinéma à tout spectateur.

Il faut dire que Kurosawa a été éduqué à la culture occidentale, que son père considérait comme fondamentale. Il lui emprunte ainsi de nombreux scénarios, comme L’Idiot de Dostoïevski, Les Bas-fonds de Maxime Gorki, mais sa plus grande réussite reste Le Château de l’araignée, inspirée de la pièce Macbeth de Shakespeare, où les codes du théâtre nô dans le Japon du XVIe siècle se mêlent intimement aux références de l’œuvre occidentale. Le décor épuré et très symbolique, les gestes et les mouvements de caméra très mesurés, expriment les errements de l’homme embourbé dans ses passions et qui refuse sa condition naturelle de mortel.

Le cinéma occidental le lui rend bien. Son chef-d’œuvre, Les Sept Samouraïs (1954), a inspiré Les Sept Mercenaires de John Sturges, tandis que Francis Ford Coppola et George Lucas clament leur admiration pour ce film et l’œuvre de Kurosawa. Yojimbo est la source de Pour une poignée de dollars de Sergio Leone, L’Outrage de Martin Ritt découle de Rashomon… pour ne citer que les adaptations les plus directes.

Très présente dans le cinéma de Kurosawa, la peur du nucléaire et de ses répercussions est également l’objet de plusieurs de ses films, comme Rhapsodie en août, Rêves ou Vivre dans la peur. La peur, brute et indéracinable, entraîne la destruction de soi et des autres, met fin à tous les liens : le patriarche de Vivre dans la peur finit à l’asile.

Écrits dans un contexte de tests nucléaires dans le Pacifique ou après Nagasaki et d’autres catastrophes, ils ont reçu un accueil très mitigé à leur sortie mais font aujourd’hui partie des œuvres les plus expressives sur l’état de tension extrême et permanent engendré par le conflit nucléaire.

Réalisateur de terrain, maître colérique et méticuleux impliqué dans toutes les étapes de la création de ses films, Kurosawa a toujours souhaité mourir sur un tournage. Cependant, en 1995, une chute lui brise une partie de la colonne vertébrale, l’obligeant à rester en fauteuil roulant et mettant fin à sa carrière. Il meurt en 1998, malade, d’une attaque cérébrale.

Une peinture d’Akira Kurosawa

Durant toute sa carrière, Akira Kurosawa a joué avec les époques pour nous parler de l’homme : ses peurs, ses passions, ses erreurs… A grands coups de fresques historiques ou de films plus intimes, il laisse une œuvre rendue accessible par ses références occidentales, et qui invite à s’initier au pour la comprendre en profondeur.

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